Communiqué du Greffier Arrêts de chambre concernant l’Estonie, la France, le Portugal, la Turquie et l’Ukraine
La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit les 18 arrêts de chambre suivants, dont aucun n’est définitif[1].
Les affaires répétitives (dans lesquelles la Cour est parvenue aux mêmes constatations que dans des affaires similaires soulevant des questions analogues au regard de la Convention européenne des Droits de l’Homme) sont résumées à la fin du présent communiqué de presse.
Taal c. Estonie (requête no 13249/02) Violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d)Le requérant, Hermo Taal, est un ressortissant estonien né en 1954 et résidant à Tallinn.
En juin 2000, le requérant fut placé en garde à vue et inculpé d’avoir menacé par téléphone de faire exploser une bombe dans un supermarché appelé Pirita Selver s’il n’obtenait pas l’argent qu’il exigeait. Par la suite, le tribunal municipal de Tallinn le reconnut coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à trois ans d’emprisonnement. Le tribunal s’appuya sur les dépositions faites par des témoins au cours de l’enquête préliminaire et sur la retranscription des enregistrements des conversations téléphoniques.
Le requérant saisit la cour d’appel de Tallin pour dénoncer, entre autres, le fait que le tribunal municipal n’avait pas entendu les témoins et qu’il ne les avait pas convoqués malgré la demande de son avocat. Après le rejet de son appel, il se vit refuser l’autorisation de s’adresser à la Cour suprême.
Le requérant se plaignait de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable et alléguait la violation de ses droits de la défense puisqu’il n’avait pas pu interroger ou faire interroger les témoins à charge, ni durant l’enquête ni au procès. Il invoquait l’article 6 §§ 1 (droit à un procès équitable) et 3 d) (droit à obtenir la convocation et l’interrogation des témoins) de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
Eu égard au fait que ni le requérant ni son représentant n’ont pu interroger les témoins, à aucun stade de la procédure, et que les témoins n’ont jamais été entendus par le tribunal, la Cour européenne des Droits de l’Homme estime que les droits de la défense du requérant ont été restreints dans une mesure incompatible avec les garanties prévues à l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.
La Cour dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d), et alloue au requérant 6 500 euros (EUR) pour préjudice moral et 2 300 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
Reigado Ramos c. Portugal (no 73229/01) Violation de l’article 8Le requérant, José Manuel Reigado Ramos, est un ressortissant portugais né en 1964 et résidant à Lisbonne. De sa relation avec M.O. naquit en 1995 Inês ; le couple se sépara lorsque l’enfant avait sept mois.
En février 1997, le requérant intenta une procédure concernant l’octroi de l’autorité parentale sur l’enfant. Dans le cadre de celle-ci, un accord fut conclu en vertu duquel la garde de la fillette fut confiée à sa mère, le requérant bénéficiant d’un droit de visite selon lequel Inês devait passer deux week-ends par mois avec lui ainsi qu’une partie des vacances scolaires.
En février 1998, le requérant, qui n’avait plus vu sa fille depuis octobre 1997, intenta une procédure afin d’obtenir l’exécution forcée de l’accord sur l’autorité parentale que M.O. ne respectait pas. Cette dernière s’avéra introuvable à l’adresse indiquée. A diverses reprises au cours de la procédure, le tribunal sollicita l’aide des forces de l’ordre afin de localiser M.O. Ayant été informé qu’elle se trouvait aux Açores, le tribunal de Cascais invita cette dernière à sa prononcer sur la demande du requérant. Par la suite, le tribunal ordonna la réalisation d’une enquête sociale sur les conditions de vie de M.O. et de l’enfant, mais aucune enquête n’eut lieu, M.O. n’ayant jamais répondu aux convocations qui lui avaient été faites.
Le 3 avril 2003, le tribunal considéra comme établi le non-respect des droits de visite du requérant par M.O. et la condamna au paiement d’une amende de 249,40 euros ainsi qu’au versement d’une somme du même montant à titre de dommages et intérêts. Par ailleurs, le requérant déposa une plainte pénale contre M.O. pour soustraction de mineur, laquelle fut classée sans suite par le procureur en mars 2001.
Le requérant alléguait que l’absence de mise en œuvre de son droit de visite avait emporté violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale). Il dénonçait à cet égard l’incapacité et le manque de diligence des autorités portugaises.
La Cour relève que le tribunal a mis plus de dix mois pour prendre contact avec M.O. après l’introduction de la demande du requérant. Selon elle, le tribunal aurait pu prendre des mesures afin de trouver M.O. dans un délai moins long. La procédure d’exécution forcée s’est étendue sur cinq ans et un mois, dont la presque totalité consistait dans les tentatives du tribunal de localiser M.O. et de lui notifier les différents actes de procédure.
En l’absence d’une quelconque suggestion ou proposition du ministère public ou du tribunal lui-même afin d’essayer de réunir les intéressés ou d’impliquer activement des travailleurs sociaux dans la résolution du problème, la Cour est d’avis que les autorités portugaises ont failli à leur devoir de prendre des mesures pratiques en vue d’inciter les intéressés à une meilleure coopération, tout en ayant à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant. Par leur comportement, elles ont laissé se consolider une telle situation au mépris des décisions judiciaires, alors même que le simple passage du temps avait des conséquences de plus en plus graves pour le requérant, privé de contacts avec sa fille en bas âge. A cet égard, la Cour rappelle que M. Reigado Ramos a vu sa fille pour la dernière fois le 4 octobre 1997, alors qu’elle n’était âgée que de 2 ans, et qu’il a fallu plus de cinq ans au tribunal de Cascais pour rendre sa décision.
Le manque de coopération de la mère de l’enfant ne saurait dispenser les autorités portugaises de mettre en œuvre tous les moyens susceptibles de permettre le maintien du lien familial. Or, la procédure d’exécution forcée n’a débouché que sur la condamnation de la mère d’Inês au paiement d’une amende modique et au versement d’une indemnisation dont le montant est assez modeste.
Dans ces conditions, la Cour estime que le Portugal n’a pas déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter les droits de visite du requérant, méconnaissant ainsi son droit au respect de sa vie familiale. Dès lors, elle conclut, par six voix contre une, à la violation de l’article 8.
Le requérant n’ayant pas présenté de demande de satisfaction équitable dans le délai imparti, la Cour décide de ne pas lui allouer de somme au titre de l’article 41. (L’arrêt n’existe qu’en français.)
Belkiza Kaya et autres c. Turquie (no 33420/96 et 36206/97) Non-violation de l’article 2 (quant aux décès) Violation de l’article 2 (quant à l’enquête) Non-violation de l’article 3 Violation de l’article 5 Non-violation de l’article 8 Violation de l’article 13Les dix requérants, Belkıza Kaya, Meryem Demir, Emine Erbek, Reşit Özdemir, İbrahim Yılmaz, Osman Özdemir, Ramazan Kaya, Osman İlhan et Selahattin Nas et İbrahim Kaya sont des ressortissants turcs nés respectivement en 1972, 1963, 1971, 1973, 1962, 1960, 1967, 1955, 1968 et 1972. Ils sont les proches de Neytullah İlhan, Abdullah İlhan, Halit Kaya, Ahmet Kaya, Ali Nas, Lokman Özdemir, Hamit Yılmaz, Abdulhalim Yılmaz et Beşir Nas, qui sont décédés alors qu’ils se trouvaient en garde à vue.
Les faits prêtent à controverse entre les parties.
Les requérants soutiennent que, en janvier 1996, leurs proches furent arrêtés et placés en garde à vue dans les locaux de la gendarmerie de Taşkonak car leurs noms avaient été donnés lors de l’interrogatoire d’une personne soupçonnée de porter aide et assistance au PKK. Alors que les intéressés étaient transférés à la gendarmerie de Koçyurdu le 15 janvier 1996, le minibus dans lequel ils se trouvaient fut pris d’assaut par des tirs sur la route de Güçlükonak. Les gendarmes qui se trouvaient dans un autre véhicule les escortant ripostèrent aux attaques. A l’issue de la fusillade qui dura environ 30 minutes, le minibus avait été détruit et ses occupants tués. Le corps du conducteur, Beşir Nas, fut retrouvé à quelques mètres du minibus, touché par balles, et ceux des dix autres personnes se trouvant dans le véhicule étaient calcinés.
Selon le procès-verbal de constat des lieux 27 douilles furent retrouvées autour du véhicule et plusieurs impacts de balles et de roquettes furent relevés sur le véhicule et trois roquettes autour de celui-ci. Une enquête fut ouverte par le parquet, à l’occasion de laquelle diverses dépositions furent recueillies.
Les requérants soutenaient que leurs proches avaient été victimes d’une exécution extrajudiciaire et que les autorités n’avaient pas mené d’enquête sérieuse au sujet de leur décès. Ils dénonçaient en outre les souffrances endurées du fait du décès de leurs proches et soutenaient que ceux-ci avaient fait l’objet d’une détention contraire à la Convention. Les requérants invoquaient les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants), 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 6 (droit à un procès équitable), 13 (droit à un recours effectif), 14 (interdiction de la discrimination) et 18 (limitation de l’usage des restrictions aux droits). Par ailleurs, invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), İbrahim Kaya soutenait notamment n’avoir pu procéder aux obsèques de son père dans le respect des rituels religieux et qu’il lui est impossible de retourner dans son village depuis cet incident.
La Cour estime que Osman Özdemir ne peut se prétendre « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention et déclare donc la requête irrecevable en ce qui le concerne.
Quant à l’allégation selon laquelle les proches des requérants auraient fait l’objet d’une exécution extrajudiciaire, la Cour estime, eu égard aux éléments dont elle dispose, que ces affirmations ne s’appuient pas sur des faits concrets et vérifiables. Elles ne sont corroborées, de façon concluante, par aucune déposition de témoin oculaire ou autre élément de preuve et relèvent plus du domaine de l’hypothèse et de la spéculation que d’indices fiables.
Sur le point de savoir si la Turquie a pris toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie des proches des requérants, la Cour reconnaît la fragilité de la situation dans le Sud-Est de la Turquie, touché d’ailleurs par l’état d’urgence à l’époque des faits, et est prête à admettre, de manière générale, que le risque d’incident était plus élevé dans cette région que dans le reste du pays. Elle n’est pas convaincue que les mesures prises par les forces de l’ordre quant aux modalités de garde, d’escorte et de transport des gardés à vue puissent être mises en cause. En effet, quatre gardes étaient présents dans le minibus pour accompagner les détenus, les gendarmes les escortaient avec leur véhicule et la zone était sous contrôle militaire ; la présence de terroristes ayant été constatée quelques minutes avant l’incident seulement, l’on ne saurait reprocher aux autorités de ne pas avoir empêché le départ du convoi ou modifié l’itinéraire. En outre, elles ne sauraient être critiquées pour ne pas avoir pris de mesures complémentaires dans la mesure où la survenance d’un risque réel et sérieux n’était pas suffisamment prévisible.
Dès lors, la Cour conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 2 sous cet angle.
Quant au caractère des investigations menées au sujet de ces évènements, certes, des démarches ont été entreprises, mais la Cour relève un certain nombre de lacunes dans l’enquête. Elle rappelle en premier lieu qu’il est essentiel de procéder à une autopsie classique dans des cas judiciaires. Ensuite, les recherches sur le lieu de l’incident n’ont pas été entreprises avec l’attention que demandait une affaire semblable. Il convient de relever que c’est aussi après la communication de la requête par la Cour européenne que les autorités chargées de l’enquête se sont informées du placement en garde à vue et de l’interrogatoire des personnes décédées dans l’attaque. Enfin, les déclarations des gendarmes chargés d’escorter le minibus ont été recueillies pour la première fois, à une exception près, plus de six ans après l’incident.
Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités turques n’ont pas mené une enquête suffisante et effective sur le décès des proches des requérants et elle conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 2.
La Cour ne doute nullement de la profonde souffrance des requérants du fait du décès de leurs proches. Toutefois, elle rappelle que leurs allégations quant à une exécution extrajudiciaire par des agents de l’Etat n’ont pas été établies. En outre, l’examen des éléments du dossier ne permet pas de conclure que le seuil de gravité exigé par l’article 3, dans ce type particulier de situations, ait été atteint. Dès lors, elle conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 3.
Quant à la détention des intéressés, si les parties s’accordent à reconnaître qu’ils ont été placés en garde à vue, il existe une divergence quant à la date à laquelle celle-ci a débuté. Or, il n’existe aucune trace officielle de leur placement en garde à vue. Selon la Cour, le défaut de consignation du placement en garde à vue d’un individu ainsi que de données telles que la date de l’arrestation, le lieu de détention, le nom du détenu ainsi que les raisons de la détention et l’identité de la personne qui y a procédé doit passer pour incompatible avec l’objectif même de l’article 5 de la Convention. En outre, le Gouvernement affirme que ces personnes ont été placées en garde à vue sur la base des déclarations d’un individu, mais n’a pas produit de copie du procès-verbal de déposition en question. Le nom de cette personne n’apparaît d’ailleurs dans aucun registre comme personne régulièrement détenue. Dans ces conditions, la Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 5.
Constatant que İbrahim Kaya ne fournit aucun élément à l’appui de ses allégations, la Cour conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 8.
En ce qui concerne le grief tiré des articles 6, 13 et 14, la Cour décide de les examiner sous l’angle de l’article 13. Ayant conclu que l’enquête judiciaire n’a pas offert un cadre adéquat pour établir les circonstances dans lesquelles les proches des requérants sont décédés, la Cour conclut à la violation de l’article 13 dont les exigences vont plus loin que l’obligation de mener une enquête imposée par l’article 2.
Au vu de l’ensemble de ses conclusions, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 18.
La Cour alloue à chacun des neuf requérants restants 15 000 EUR pour préjudice moral. Au titre des frais et dépens elle octroie 5 160 EUR à İbrahim Kaya et 3 000 EUR aux huit autres requérants conjointement. (L’arrêt n’existe qu’en français.)
Emire Eren Keskin c. Turquie (no 49564/99) Violation de l’article 10 Violation de l’article 6 § 1Emire Eren Keskin est une ressortissante turque née en 1959 et résidant à Istanbul, qui à l’époque des faits exerçait la profession d’avocate.
En avril 1995, la revue bimestrielle Medya Güneşi (Le soleil de Medya – bien que littéralement le nom Medya se traduise par « média », l’emploi de ce terme fait allusion au pays des Meds, le pays mythique des Kurdes) publia une interview de la requérante. Cette dernière y qualifiait de « guerre » et « barbarisme » les actions des autorités turques dans le Sud-Est du pays et l’article employait des termes empreints d’une agressivité certaine et de virulence.
Poursuivie pour avoir diffusé de la propagande séparatiste par voie de presse, la requérante fut condamnée par la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul à une peine d’un an et quatre mois d’emprisonnement, qui fut réduite à un an, un mois et dix jours en raison du comportement de l’intéressée durant l’audience. En novembre 1999, le procureur sursit à l’exécution de la peine de la requérante en application de la loi no 4454 prévoyant le sursis à l’exécution des peines pour les infractions commises par voie de presse.
La requérante se plaignait que sa condamnation pénale avait emporté violation de l’article 10 (liberté d’expression). Elle se plaignait également de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable en violation de l’article 6 § 1, en raison notamment de la présence d’un magistrat militaire dans la composition de la cour de sûreté de l’Etat l’ayant jugée et condamnée.
La Cour estime que les motifs retenus par les juridictions internes ne sauraient être considérés en eux-mêmes comme suffisants pour justifier l’ingérence dans le droit de la requérante à la liberté d’expression. Il s’agit là d’un reflet de l’attitude intransigeante adoptée par l’une des parties au conflit plutôt que d’une incitation à la violence. La Cour relève en outre la sévérité de la sanction infligée à l’intéressée. Dans ces conditions, elle estime que la condamnation de la requérante est disproportionnée aux buts visés et, dès lors, non « nécessaire dans une société démocratique ». Il y a donc eu violation de l’article 10.
D’autre part, comme elle a déjà eu l’occasion de le faire dans nombre d’affaires similaires, la Cour juge, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 en ce qui concerne le grief tiré d’un manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat. Quant à l’autre grief tiré de l’iniquité de la procédure, la Cour rappelle qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction ; elle estime par conséquent qu’il n’y a pas lieu de l’examiner.
Au titre de la satisfaction équitable, la Cour alloue à la requérante 7 500 EUR pour préjudice moral et 3 000 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en français.)
Antonenkov et autres c. Ukraine (no 14183/02) Violation de l’article 6 § 1 Non-violation de l’article 2 du Protocole no 4Les requérants, Alexeï Anatolievitch Antonenkov, Alexeï Anatolievitch Dioukine et Vladimir Petrovitch Stolitni sont des ressortissants ukrainiens nés en 1967, 1959 et 1970 respectivement et résidant à Kiev.
Le 26 juin 1996, une procédure pénale fut ouverte contre les requérants, qui furent ensuite arrêtés car ils étaient soupçonnés d’escroquerie et de vol. En avril et mai 1997, le tribunal du district de Chevtchenkovsky, à Kiev, ordonna leur remise en liberté après qu’ils s’étaient engagés à ne pas s’enfuir.
Entre avril 1997 et avril 2002, le tribunal de district programma 77 audiences, dont beaucoup furent ajournées ou annulées. Il reporta deux fois l’examen de l’affaire.
Le 19 juillet 2002, le tribunal de district abandonna les poursuites pour escroquerie, détournement et faux. La procédure pénale pour vol engagée contre M. Antonenkov et M. Dioukine est toujours pendante.
Les requérants dénonçaient la durée de la procédure pénale dirigée contre eux et se plaignaient de la restriction prolongée apportée à leur liberté de circulation du fait de leur engagement de ne pas prendre la fuite. Ils invoquaient l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable) et l’article 2 du Protocole no 4 (liberté de circulation).
La Cour note que dans le cas de M. Stolitni la procédure a duré six ans et un mois, et qu’elle s’est étendue sur neuf ans et quatre mois pour MM. Antonenkov et Dioukine. La Cour estime que nombre des retards sont imputables au comportement des juridictions internes et que les procédures n’ont pas été menées à terme dans un délai raisonnable, en violation de l’article 6 § 1.
Concernant l’obligation imposée aux requérants pendant la procédure de solliciter l’autorisation du tribunal chaque fois qu’ils souhaitaient quitter leur lieu de résidence habituelle, la Cour considère que la mesure contestée poursuivait un but légitime et qu’elle était proportionnée. Elle conclut donc qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 4.
La Cour dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 4. Elle alloue 2 000 EUR à M. Stolitni et 3 000 EUR à chacun des deux autres requérants pour préjudice moral. De plus, elle accorde à chaque requérant 1 000 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
Affaires répétitives
Dans les affaires suivantes, la Cour est parvenue aux mêmes constatations que dans des affaires similaires soulevant des questions analogues au regard de la Convention.
Freymuth et Golinelli c. France (nos 65823/01 et 65273/01) Violation de l’article 6 § 1Les requérants, Patrick Golinelli et Patrick Freymuth, sont des ressortissants français nés en 1951 et 1954 respectivement et résidant en France à Lantefontaine et Marly. M. Golinelli effectuait des transports routiers pour le compte d’une société appartenant à M. Freymuth.
En août 1996, le tribunal correctionnel de Thionville déclara les requérants coupables d’avoir importé, sans autorisation, des marchandises soumises à justification d’origine, et les condamna chacun au paiement d’une amende pénale et d’une amende douanière. Les requérants intentèrent un deuxième pourvoi, qui fut rejeté par la Cour de cassation le 21 juin 2000.
Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), les requérants dénonçaient l’iniquité de la procédure devant la Cour de cassation du fait de l’absence de communication, avant l’audience, des conclusions de l’avocat général et l’impossibilité pour eux d’y répondre, faute d’avoir été convoqués à l’audience.
La Cour déclare la requête recevable quant à l’absence de communication des conclusions de l’avocat général et l’impossibilité d’y répondre, ainsi que l’absence de convocation à l’audience. Elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 6 § 1, du fait de l’absence de communication aux requérants du sens des conclusions de l’avocat général, auxquelles ils ont donc été dans l’impossibilité de répondre. Eu égard à cette conclusion, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’absence de convocation des requérants à l’audience.
La Cour dit que le constat d’une violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par les requérants. (L’arrêt n’existe qu’en français.)
Bulut c. Turquie (no 49892/99)
Ebru Demir c. Turquie (no 60262/00)
Yağiz et autres c. Turquie (no 57344/00) Violation de l’article 6 § 1
Dans ces trois affaires, les requérants ont été traduits devant une cour de sûreté de l’Etat et condamnés à des peines d’emprisonnement en raison de leur appartenance ou de l’aide et assistance qu’ils ont portées à des organisations armées illégales. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), les intéressés soutenaient n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable, en raison notamment de la présence d’un magistrat militaire dans la composition des cours de sûreté de l’Etat. En outre, dans l’affaire Yağiz et autres, les requérants se plaignaient de la durée de la procédure dirigée contre eux.
La Cour juge, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 en ce qui concerne le grief tiré d’un manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat. Quant aux autres griefs tirés de l’iniquité de la procédure, elle rappelle qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction ; elle estime par conséquent qu’il n’y a pas lieu de les examiner.
Quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure dans l’affaire Yağiz et autres, la Cour relève qu’elle s’est étendue sur cinq ans et quatre mois pour l’un des requérants et sur quatre ans et quatre mois pour l’autre requérant. Eu égard aux circonstances de l’espèce et à la durée globale de la procédure, la Cour estime que de telles durées n’ont pas dépassé le « délai raisonnable » et elle conclut dès lors à la non-violation de l’article 6 § 1 sur ce point.
Sur l’application de l’article 41 (satisfaction équitable), la Cour estime, à l’unanimité dans chacune de ces affaires, que les présents arrêts constituent en soi des satisfactions équitables suffisantes pour le préjudice moral allégué par les requérants. Elle rappelle que lorsqu’elle conclut que la condamnation d’un requérant a été prononcée par un tribunal qui n’était pas indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1, en principe le redressement le plus approprié serait de le faire rejuger en temps utile par un tribunal indépendant et impartial. Au titre des frais et dépens, la Cour alloue 1 500 EUR à Ebru Demir et 500 EUR aux requérants conjointement dans l’affaire Yağiz et autres.
(L’arrêt Bulut c. Turquie n’existe qu’en anglais et les arrêts Yağiz et autres et Ebru Demir c. Turquie n’existent qu’en français.)
Gaïdaï c. Ukraine (no 18949/03)
Kojanova c. Ukraine (no 27349/03)
Kroutko c. Ukraine (no 22246/02)
Litovokina c. Ukraine (no 35741/04)
Melnikova c. Ukraine (no 24626/03)
Mirochnitchenko c. Ukraine (no 29420/03)
Ovtcharenko c. Ukraine (no 5578/03)
Romantchenko c. Ukraine (no 5596/03)
Tsanga c. Ukraine (no 14612/03) Violation de l’article 6 § 1 Violation de l’article 1 du Protocole no 1 Violation de l’article 13
Les requérants se plaignaient tous de l’inexécution prolongée, en raison de l’absence de fonds publics, de jugements leur accordant une indemnité. Ils invoquaient tous l’article 6 § 1 (accès à un tribunal), à l’exception du requérant dans l’affaire Tsanga, qui invoquait uniquement l’article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété). Dans les affaires Gaïdaï, Kojanova, Litovokina, Melnikova et Romantchenko, les requérants invoquaient également l’article 1 du Protocole no1, et, dans l’affaire Ovtcharenko, le requérant invoquait l’article 13 (droit à un recours effectif).
La Cour, à l’unanimité, déclare toutes ces requêtes recevables, à l’exception des requêtes formées dans les affaires Kojanova et Ovtcharenko, qui sont déclarées partiellement recevables.
Concernant l’article 6 § 1, la Cour observe qu’une autorité de l’Etat ne saurait prétexter du manque de ressources pour ne pas se conformer à une décision de justice. La Cour note que les jugements en question ont manqué à être exécutés durant de longues périodes et que le Gouvernement n’a avancé aucune explication plausible pouvant justifier cette situation. En conséquence, la Cour dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 dans toutes les affaires, à l’exception de l’affaire Tsanga, et qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no1 dans les affaires Tsanga, Gaïdaï, Kojanova, Litovokina, Melnikova et Romantchenko.
Dans l’affaire Ovtcharenko, la Cour constate l’absence de recours effectif permettant de réparer le préjudice causé par le retard intervenu dans l’exécution du jugement en question. Il y a donc eu violation de l’article 13.
La Cour alloue aux requérants des sommes comprises entre 990 et 4 000 EUR pour préjudice matériel et préjudice moral, et 200 EUR pour frais et dépens dans l’affaire Melnikova. (Les arrêts n’existent qu’en anglais, à l’exception de l’arrêt rendu dans l’affaire Tsanga, qui n’existe qu’en français).
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Rédigés par le greffe, ces résumés ne lient pas la Cour. Le texte complet des arrêts de la Cour est disponible sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).
Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme
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La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Elle se compose d’un nombre de juges égal à celui des Etats parties à la Convention. Siégeant à temps plein depuis le 1er novembre 1998, elle examine en chambres de 7 juges ou, exceptionnellement, en une Grande Chambre de 17 juges, la recevabilité et le fond des requêtes qui lui sont soumises. L’exécution de ses arrêts est surveillée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. La Cour fournit sur son site Internet des informations plus détaillées concernant son organisation et son activité.
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[1] L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Pour le reste, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.