Thursday, November 24, 2005

Suisse : Droits de l'homme: la Suisse pas irréprochable

En Suisse, les droits de l’homme sont respectés «à un haut niveau». Mais il y a des points faibles, dans le domaine de l’asile et de la surpopulation carcérale.

Telle est la conclusion du rapport sur les droits de l’homme publié mercredi par le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe Alvaro Gil-Roblès.


Ce rapport de 52 pages tire les enseignements de la visite que le Commissaire a effectué en décembre dernier en Suisse.

En matière de politique d'asile, il regrette le refoulement immédiat de certains requérants à leur sortie des avions. Il l'estime contraire au droit international. Il recommande notamment qu'un témoin vérifie qu'une personne a pu demander l'asile à son arrivée à l'aéroport avant d'être considérée comme «inadmissible» sur le territoire.

Depuis 1997, de 5000 à 8000 demandes par année sont considérées d’entrée comme infondées. Les requérants sont alors frappés d'une non-entrée en matière (NEM).

Le rapport demande la prolongation du délai pour recourir contre une décision de NEM. Il appelle également à fournir une assistance juridique et sociale ainsi qu'un traducteur au requérant.

Trop de monde dans les prisons


Outre l'asile, le document insiste aussi sur la surpopulation dans certaines prisons, dont celle de Champ-Dollon à Genève, où le taux d'occupation a atteint jusqu'à 150%.

Alvaro Gil-Roblès déplore également le manque de gardiens compétents pour le traitement des détenus mineurs, après sa visite de la prison de La Stampa à Lugano.

Sur ces deux questions, le Commissaire aux droits de l'homme recommande la mise en place d'un médiateur fédéral, et de fonctions similaires dans les cantons et les villes. Il se déclare également favorable à la création d'une institution nationale indépendante sur les droits de l'homme.

Convention à ratifier

Le document envisage également plusieurs mesures dans la lutte contre le racisme et la xénophobie, notamment dans la formation des policiers. Alvaro Gil-Roblès s'est déclaré «choqué» par certains témoignages de mauvais traitements policiers et prône la création d'une instance pour enquêter sur ces allégations.

Le rapport préconise encore davantage de places de stationnement pour les gens du voyage. Et Alvaro Gil-Roblès a indiqué vouloir suivre avec attention la compatibilité de l'application des mesures d'internement à vie pour les délinquants dangereux avec la Convention européenne des droits de l'homme.

Berne prend acte

Le Conseil fédéral (gouvernement) de son côté «prend acte» du rapport et va le transmettre au parlement, à l'administration et aux cantons, comme l’indique mercredi le ministère de Justice et Police.

Dans une annexe au rapport du Conseil de l'Europe, le Conseil fédéral a tout de même tenu à revenir sur certaines observations d’Alvaro Gil-Roblès.

Ainsi, il indique qu'une procédure est ouverte pour toute demande d'asile, même si la personne concernée n'est pas en possession de papiers. En outre, Berne précise que les cantons sont obligés, aux termes de la Constitution, d'assister les personnes frappées d'une NEM en cas de situation d'indigence.

Par ailleurs, la Suisse examinera la possibilité de signer la Convention du Conseil de l'Europe sur la traite des êtres humains, comme le souhaite Alvaro Gil-Roblès. Mais il signale que le Droit suisse réglemente déjà le séjour des victimes de ce fléau et est conforme aux exigences de la Convention.




swissinfo et les agences


Conseil de l'Europe
http://www.coe.int/DefaultFR.asp



Droits de l’homme

- Dans son rapport, le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe Alvaro Gil-Roblès estime qu’en Suisse les droits de l’homme sont respectés à un «haut niveau».

- Il critique néanmoins les méthodes d’interrogatoire pour les demandeurs d’asile, les procédures expéditives et le refoulement immédiat de certains requérants.

- Il déplore également les mauvaises conditions de détention dans les prisons de Champ Dollon à Genève et de La Stampa à Lugano.

- Alvaro Gil-Roblès a visité la Suisse entre le 29 novembre et le 3 décembre 2004. Son rapport a été rendu public mercredi.

Sur ce sujet:

Les situations d'urgence de l'asile

Des prisons suisses surpeuplées

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Droit d'entreprendre, droit de l'homme ?

Nous vivons une époque d’hypertrophie des droits de l’homme : le discours politique s’en est accaparé de sorte que leur invocation est devenu le leitmotiv de n’importe quelle communication sur n’importe quel sujet. Les droits des travailleurs font l’objet d’une protection vigilante depuis la création en 1919, de l’Organisation internationale du travail. Ils sont dûment consacrés tant dans les constitutions, les lois nationales qu’au niveau européen (Union européenne et Conseil de l’Europe). Les mêmes législateurs nationaux et internationaux consacrent sans discontinuer des droits nouveaux, comme le droit au service universel de la part des organismes publics économiques, le droit à l’eau, les droits spécifiques aux handicapés, aux personnes âgées, aux enfants, sans oublier la possibilité laissée aux juges de puiser, par voie prétorienne, des droits connexes dans ces textes. En conséquence, on assiste à une inflation (et dévaluation corrélative) de pareils droits : rien ne permet d’augurer que cette dynamique ne s’arrête tant elle s’avère symboliquement valorisante pour ceux qui promeuvent ces nouveaux droits. La métaphore générationnelle semble indiquer que ce déploiement « organique » ne connaîtra pas de fin. Notons que, paradoxalement, ces dernières créations paraissent avoir, aux yeux de leurs promoteurs, infiniment plus de valeur que les droits de la première génération considérés, à tort, comme indestructibles.

Nul doute que ces nouveaux droits concernent des problématiques importantes dans notre société mais sont-ils vraiment « fondamentaux », au sens premier du terme ? Il est un droit « fondamental », un droit qui s’avère être la condition de possibilité matérielle de beaucoup d’autres et que j’appellerais le « droit d’entreprendre », droit dont, pourtant, on ne parle guère ou prou. C’est le droit oublié des temps modernes. Son principe a été consacré dès 1789 par un décret révolutionnaire dit « d’Alarde » sous la dénomination de « liberté de commerce et d’industrie ». Contrairement au droit au travail qui est une liberté « positive » ou droit créance (« droit à »), le droit d’entreprendre (« droit de ») est une liberté « négative » : liberté de ne pas être entravé dans sa volonté d'interagir pacifiquement avec autrui pour mener à bien des projets et aux fins d'accroître son patrimoine. Le droit d'entreprendre est, directement ou non, le socle de la quasi-totalité de l'activité créatrice. Sur un plan plus ontologique, on peut même défendre l’idée que c'est en entreprenant que l'être humain s’épanouit, se réalise et rend présentes et concrètes les potentialités qui l'habitent.

Nous inspirant de la signification usuelle du mot « entrepreneur » dans le dictionnaire, nous définissons ce dernier comme le droit pour toute personne de diriger une entreprise pour son propre compte en mettant en œuvre les divers facteurs de production (agents naturels, travail, capital) en vue de vendre des produits ou des services.

Celui qui entreprend le fait pour son propre compte : il investit au moyen de ses propres économies ou en empruntant. Il court donc un risque : celui de perdre dans l’aventure l’argent qu’il a investi. Il vit dans la hantise de la faillite donc du stigmate social et économique qui s’y attache, du moins en Europe. Eu égard à la complexité des législations fiscales, sociales et comptables, il risque à tout moment d’être poursuivi au pénal. Il emploie de la main d’œuvre : donc il procure de l’emploi.

Sans doute, lorsque les affaires marchent, l’entrepreneur peut gagner sa vie d’une façon que beaucoup lui envieront. Mais n’est-ce pas là une contrepartie équitable des risques qu’il court et des responsabilités qu’il assume ? Allons plus loin : depuis le XVI° siècle, le pouvoir étatique est traditionnellement légitimé par la théorie dite du « contrat social ». Selon cette fiction justificatrice, les hommes ont, à l’aube de l’humanité, décidé de vivre en commun. Les membres signataires du futur Etat acceptent de quitter l’état de nature (c’est-à-dire la situation anarchique précédant l’organisation étatique) et de se délester d’une partie de leurs droits et libertés en vue de se voir garantir la sécurité. Encore faut-il que ce contrat soit équitable. En droit privé, le Code civil proscrit le contrat dit « léonin », c'est-à-dire la convention selon laquelle une ou plusieurs des parties s’attribue la « part du lion » consistant soit à s’exonérer de tous (ou pratiquement tous) les risques ou de se réserver l’exclusivité (ou la quasi exclusivité) des bénéfices au détriment de l’une ou de plusieurs autres parties au contrat. Les entrepreneurs, minoritaires dans nos sociétés occidentales, ne sont-ils pas, dans certains cas, victimes d’un « contrat social léonin » profitant au plus grand nombre ?

Le sang de l’économie

L’entreprise est le sang de l’économie. Le bien-être national en dépend. Par entreprise, on ne vise pas spécifiquement les « multinationales » (entités chères aux dénonciations fantasmatiques) mais, plus prosaïquement, les petites et moyennes entreprises (PME). Sait-on que 75% des emplois créés dans l’Union européenne le sont par des PME ?

Et pourtant, ignoré de la Constitution et des traités internationaux sur les droits de l’homme, le droit d’entreprendre est assujetti à moult restrictions et obstacles : qu’on pense à la pesanteur de la fiscalité directe ou indirecte, tant au niveau fédéral, régional que local qui étouffent les initiatives, aux dispositions de droit social et de sécurité sociale (qui font réfléchir à deux fois l’entrepreneur avant de recruter) et aux normes environnementales (souvent onéreuses et d’une complexité déconcertante).

Dans leur principe, ces restrictions n’appellent pas de critiques : comme toute activité humaine, le droit d’entreprendre ne peut être absolu ; lorsque l’intérêt général le requiert, il peut être soumis à des limitations dûment justifiées. Mais dans la pratique, les autorités publiques disposent d’une liberté quasi illimitée pour restreindre le droit d’entreprendre et ils n’hésitent pas à en faire usage. Cette soif de réglementation rencontre peu de résistance. Ceux qui s’en plaignent passent - au mieux - pour des égoïstes. On leur rétorque: « Après tout, on ne fait que prendre aux riches - qui le deviennent un peu moins - pour veiller au bien-être de la collectivité des citoyens ». Mais c’est oublier que ce bien-être est conditionné par la prospérité même de l’activité entrepreneuriale.

L’entrepreneur qui se tourne vers le juge est souvent déçu. La liberté de commerce et d’industrie n’a guère les faveurs de la jurisprudence qui n’hésite pas à décerner un brevet de validité aux intrusions des autorités publiques : le droit devient l’exception et ses restrictions le principe, de sorte qu’il est un leurre de parler ici d’un « droit ». L’entrepreneur débouté peut difficilement trouver son salut devant le juge supranational, puisque comme on l’a dit, le droit d’entreprendre n’est pas reconnu comme tel dans les instruments supranationaux.

Dans la Constitution

Voilà pourquoi, il est grand temps de songer à consacrer, comme tel, le droit d’entreprendre dans la Constitution et dans les traités internationaux sur les droits de l’homme et lui conférer la dignité d’un véritable droit fondamental à l’égal des droits comme ceux consacrant, par exemple, la liberté syndicale.

On commet ici l’outrecuidance d’esquisser une formulation de ce droit :

« Toute personne, physique ou morale, a droit à la liberté d’entreprendre.

Cette liberté ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

La liberté d’entreprendre est ainsi érigée en droit fondamental. Puis viennent les restrictions autorisées dans des cas bien déterminés et dans le respect du principe de proportionnalité. Ces restrictions sont à interpréter de façon stricte par le juge, comme il le fait pour les autres libertés. Au cas où la liberté d’entreprendre entre en conflit avec une autre liberté, aucune n’a prééminence sur l’autre. Il incombe au juge de trouver, dans chaque cas, le juste équilibre.

Le droit d’entreprendre est, on l’a dit, un droit dit de la « première génération». Il appelle de la part des pouvoirs publics un devoir d’abstention : ne pas entraver de façon injustifiée l’exercice de la liberté. Il n’exige pas, comme les droits de la seconde génération (les droits dits « économiques et sociaux »), des interventions financières ou autres des pouvoirs publics pour faciliter l’exercice du droit. L’entrepreneur averti n’est pas quémandeur d’interventions. Tout ce qu’il demande c’est qu’on cesse de l’entraver dans ses efforts pour contribuer à la richesse nationale. Si on ne lui garantit pas ce droit, toutes les mesures des pouvoirs publics, telles que le soutien au capital à risque, les aides régionales ou autres, sources de saupoudrage et de favoritisme, continueront à drainer l’argent du contribuable sans résultats tangibles.


Rusen Ergec , professeur à l'Université Libre de Bruxelles et avocat au Barreau de Bruxelles, est Senior Fellow à l'Atlantis Institute



L'auteur vient de publier « Protection européenne et internationale des droits de l'homme » (Bruylant, 2004).

Présentation de l'éditeur — Les droits de l'homme sont devenus un sujet de préoccupation majeure pour la société internationale. Ils constituent désormais la pierre angulaire de l'édifice juridique européen. L'ouvrage retrace les différentes étapes qui ont conduit à l'émergence du droit international des droits de l'homme. Il examine le système universel, celui de l'O.N.U., et les différents traités conclus en son sein qui constituent la charte internationale des droits de l'homme. Les systèmes interaméricain et africain de protection sont également passés en revue avant d'aborder le système européen : celui de l'Union européenne d'abord et celui du Conseil de l'Europe ensuite. Une place privilégiée est réservée au système du Conseil de l'Europe, en particulier à la Convention européenne des droits de l'homme. La Convention offre en effet le système le plus éprouvé et évolué de protection. Il a considérablement marqué de son empreinte le système de l'U.E. et celle-ci envisage d'adhérer à la Convention des droits de l'homme. Les mécanismes de protection ainsi que la jurisprudence des organes de contrôle sont exposés de façon synthétique. L'ouvrage offre ainsi aux juristes praticiens ou académiciens, soucieux de s'initier aux mécanismes internationaux et supranationaux de protection des droits de l'homme, une vue d'ensemble nourrie d'exemples concrets.

Par Rusen Ergec

Wednesday, November 23, 2005

CEDH : Arrêts de chambre concernant l’Estonie, la France, le Portugal, la Turquie et l’Ukraine

Communiqué du Greffier

Arrêts de chambre concernant l’Estonie, la France, le Portugal, la Turquie et l’Ukraine


La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit les 18 arrêts de chambre suivants, dont aucun n’est définitif[1].

Les affaires répétitives (dans lesquelles la Cour est parvenue aux mêmes constatations que dans des affaires similaires soulevant des questions analogues au regard de la Convention européenne des Droits de l’Homme) sont résumées à la fin du présent communiqué de presse.


Taal c. Estonie (requête no 13249/02) Violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d)

Le requérant, Hermo Taal, est un ressortissant estonien né en 1954 et résidant à Tallinn.

En juin 2000, le requérant fut placé en garde à vue et inculpé d’avoir menacé par téléphone de faire exploser une bombe dans un supermarché appelé Pirita Selver s’il n’obtenait pas l’argent qu’il exigeait. Par la suite, le tribunal municipal de Tallinn le reconnut coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à trois ans d’emprisonnement. Le tribunal s’appuya sur les dépositions faites par des témoins au cours de l’enquête préliminaire et sur la retranscription des enregistrements des conversations téléphoniques.

Le requérant saisit la cour d’appel de Tallin pour dénoncer, entre autres, le fait que le tribunal municipal n’avait pas entendu les témoins et qu’il ne les avait pas convoqués malgré la demande de son avocat. Après le rejet de son appel, il se vit refuser l’autorisation de s’adresser à la Cour suprême.

Le requérant se plaignait de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable et alléguait la violation de ses droits de la défense puisqu’il n’avait pas pu interroger ou faire interroger les témoins à charge, ni durant l’enquête ni au procès. Il invoquait l’article 6 §§ 1 (droit à un procès équitable) et 3 d) (droit à obtenir la convocation et l’interrogation des témoins) de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Eu égard au fait que ni le requérant ni son représentant n’ont pu interroger les témoins, à aucun stade de la procédure, et que les témoins n’ont jamais été entendus par le tribunal, la Cour européenne des Droits de l’Homme estime que les droits de la défense du requérant ont été restreints dans une mesure incompatible avec les garanties prévues à l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

La Cour dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d), et alloue au requérant 6 500 euros (EUR) pour préjudice moral et 2 300 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

Reigado Ramos c. Portugal (no 73229/01) Violation de l’article 8

Le requérant, José Manuel Reigado Ramos, est un ressortissant portugais né en 1964 et résidant à Lisbonne. De sa relation avec M.O. naquit en 1995 Inês ; le couple se sépara lorsque l’enfant avait sept mois.

En février 1997, le requérant intenta une procédure concernant l’octroi de l’autorité parentale sur l’enfant. Dans le cadre de celle-ci, un accord fut conclu en vertu duquel la garde de la fillette fut confiée à sa mère, le requérant bénéficiant d’un droit de visite selon lequel Inês devait passer deux week-ends par mois avec lui ainsi qu’une partie des vacances scolaires.

En février 1998, le requérant, qui n’avait plus vu sa fille depuis octobre 1997, intenta une procédure afin d’obtenir l’exécution forcée de l’accord sur l’autorité parentale que M.O. ne respectait pas. Cette dernière s’avéra introuvable à l’adresse indiquée. A diverses reprises au cours de la procédure, le tribunal sollicita l’aide des forces de l’ordre afin de localiser M.O. Ayant été informé qu’elle se trouvait aux Açores, le tribunal de Cascais invita cette dernière à sa prononcer sur la demande du requérant. Par la suite, le tribunal ordonna la réalisation d’une enquête sociale sur les conditions de vie de M.O. et de l’enfant, mais aucune enquête n’eut lieu, M.O. n’ayant jamais répondu aux convocations qui lui avaient été faites.

Le 3 avril 2003, le tribunal considéra comme établi le non-respect des droits de visite du requérant par M.O. et la condamna au paiement d’une amende de 249,40 euros ainsi qu’au versement d’une somme du même montant à titre de dommages et intérêts. Par ailleurs, le requérant déposa une plainte pénale contre M.O. pour soustraction de mineur, laquelle fut classée sans suite par le procureur en mars 2001.

Le requérant alléguait que l’absence de mise en œuvre de son droit de visite avait emporté violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale). Il dénonçait à cet égard l’incapacité et le manque de diligence des autorités portugaises.

La Cour relève que le tribunal a mis plus de dix mois pour prendre contact avec M.O. après l’introduction de la demande du requérant. Selon elle, le tribunal aurait pu prendre des mesures afin de trouver M.O. dans un délai moins long. La procédure d’exécution forcée s’est étendue sur cinq ans et un mois, dont la presque totalité consistait dans les tentatives du tribunal de localiser M.O. et de lui notifier les différents actes de procédure.

En l’absence d’une quelconque suggestion ou proposition du ministère public ou du tribunal lui-même afin d’essayer de réunir les intéressés ou d’impliquer activement des travailleurs sociaux dans la résolution du problème, la Cour est d’avis que les autorités portugaises ont failli à leur devoir de prendre des mesures pratiques en vue d’inciter les intéressés à une meilleure coopération, tout en ayant à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant. Par leur comportement, elles ont laissé se consolider une telle situation au mépris des décisions judiciaires, alors même que le simple passage du temps avait des conséquences de plus en plus graves pour le requérant, privé de contacts avec sa fille en bas âge. A cet égard, la Cour rappelle que M. Reigado Ramos a vu sa fille pour la dernière fois le 4 octobre 1997, alors qu’elle n’était âgée que de 2 ans, et qu’il a fallu plus de cinq ans au tribunal de Cascais pour rendre sa décision.

Le manque de coopération de la mère de l’enfant ne saurait dispenser les autorités portugaises de mettre en œuvre tous les moyens susceptibles de permettre le maintien du lien familial. Or, la procédure d’exécution forcée n’a débouché que sur la condamnation de la mère d’Inês au paiement d’une amende modique et au versement d’une indemnisation dont le montant est assez modeste.

Dans ces conditions, la Cour estime que le Portugal n’a pas déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter les droits de visite du requérant, méconnaissant ainsi son droit au respect de sa vie familiale. Dès lors, elle conclut, par six voix contre une, à la violation de l’article 8.

Le requérant n’ayant pas présenté de demande de satisfaction équitable dans le délai imparti, la Cour décide de ne pas lui allouer de somme au titre de l’article 41. (L’arrêt n’existe qu’en français.)


Belkiza Kaya et autres c. Turquie (no 33420/96 et 36206/97) Non-violation de l’article 2 (quant aux décès) Violation de l’article 2 (quant à l’enquête) Non-violation de l’article 3 Violation de l’article 5 Non-violation de l’article 8 Violation de l’article 13

Les dix requérants, Belkıza Kaya, Meryem Demir, Emine Erbek, Reşit Özdemir, İbrahim Yılmaz, Osman Özdemir, Ramazan Kaya, Osman İlhan et Selahattin Nas et İbrahim Kaya sont des ressortissants turcs nés respectivement en 1972, 1963, 1971, 1973, 1962, 1960, 1967, 1955, 1968 et 1972. Ils sont les proches de Neytullah İlhan, Abdullah İlhan, Halit Kaya, Ahmet Kaya, Ali Nas, Lokman Özdemir, Hamit Yılmaz, Abdulhalim Yılmaz et Beşir Nas, qui sont décédés alors qu’ils se trouvaient en garde à vue.

Les faits prêtent à controverse entre les parties.

Les requérants soutiennent que, en janvier 1996, leurs proches furent arrêtés et placés en garde à vue dans les locaux de la gendarmerie de Taşkonak car leurs noms avaient été donnés lors de l’interrogatoire d’une personne soupçonnée de porter aide et assistance au PKK. Alors que les intéressés étaient transférés à la gendarmerie de Koçyurdu le 15 janvier 1996, le minibus dans lequel ils se trouvaient fut pris d’assaut par des tirs sur la route de Güçlükonak. Les gendarmes qui se trouvaient dans un autre véhicule les escortant ripostèrent aux attaques. A l’issue de la fusillade qui dura environ 30 minutes, le minibus avait été détruit et ses occupants tués. Le corps du conducteur, Beşir Nas, fut retrouvé à quelques mètres du minibus, touché par balles, et ceux des dix autres personnes se trouvant dans le véhicule étaient calcinés.

Selon le procès-verbal de constat des lieux 27 douilles furent retrouvées autour du véhicule et plusieurs impacts de balles et de roquettes furent relevés sur le véhicule et trois roquettes autour de celui-ci. Une enquête fut ouverte par le parquet, à l’occasion de laquelle diverses dépositions furent recueillies.

Les requérants soutenaient que leurs proches avaient été victimes d’une exécution extrajudiciaire et que les autorités n’avaient pas mené d’enquête sérieuse au sujet de leur décès. Ils dénonçaient en outre les souffrances endurées du fait du décès de leurs proches et soutenaient que ceux-ci avaient fait l’objet d’une détention contraire à la Convention. Les requérants invoquaient les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants), 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 6 (droit à un procès équitable), 13 (droit à un recours effectif), 14 (interdiction de la discrimination) et 18 (limitation de l’usage des restrictions aux droits). Par ailleurs, invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), İbrahim Kaya soutenait notamment n’avoir pu procéder aux obsèques de son père dans le respect des rituels religieux et qu’il lui est impossible de retourner dans son village depuis cet incident.

La Cour estime que Osman Özdemir ne peut se prétendre « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention et déclare donc la requête irrecevable en ce qui le concerne.

Quant à l’allégation selon laquelle les proches des requérants auraient fait l’objet d’une exécution extrajudiciaire, la Cour estime, eu égard aux éléments dont elle dispose, que ces affirmations ne s’appuient pas sur des faits concrets et vérifiables. Elles ne sont corroborées, de façon concluante, par aucune déposition de témoin oculaire ou autre élément de preuve et relèvent plus du domaine de l’hypothèse et de la spéculation que d’indices fiables.

Sur le point de savoir si la Turquie a pris toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie des proches des requérants, la Cour reconnaît la fragilité de la situation dans le Sud-Est de la Turquie, touché d’ailleurs par l’état d’urgence à l’époque des faits, et est prête à admettre, de manière générale, que le risque d’incident était plus élevé dans cette région que dans le reste du pays. Elle n’est pas convaincue que les mesures prises par les forces de l’ordre quant aux modalités de garde, d’escorte et de transport des gardés à vue puissent être mises en cause. En effet, quatre gardes étaient présents dans le minibus pour accompagner les détenus, les gendarmes les escortaient avec leur véhicule et la zone était sous contrôle militaire ; la présence de terroristes ayant été constatée quelques minutes avant l’incident seulement, l’on ne saurait reprocher aux autorités de ne pas avoir empêché le départ du convoi ou modifié l’itinéraire. En outre, elles ne sauraient être critiquées pour ne pas avoir pris de mesures complémentaires dans la mesure où la survenance d’un risque réel et sérieux n’était pas suffisamment prévisible.

Dès lors, la Cour conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 2 sous cet angle.

Quant au caractère des investigations menées au sujet de ces évènements, certes, des démarches ont été entreprises, mais la Cour relève un certain nombre de lacunes dans l’enquête. Elle rappelle en premier lieu qu’il est essentiel de procéder à une autopsie classique dans des cas judiciaires. Ensuite, les recherches sur le lieu de l’incident n’ont pas été entreprises avec l’attention que demandait une affaire semblable. Il convient de relever que c’est aussi après la communication de la requête par la Cour européenne que les autorités chargées de l’enquête se sont informées du placement en garde à vue et de l’interrogatoire des personnes décédées dans l’attaque. Enfin, les déclarations des gendarmes chargés d’escorter le minibus ont été recueillies pour la première fois, à une exception près, plus de six ans après l’incident.

Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités turques n’ont pas mené une enquête suffisante et effective sur le décès des proches des requérants et elle conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 2.

La Cour ne doute nullement de la profonde souffrance des requérants du fait du décès de leurs proches. Toutefois, elle rappelle que leurs allégations quant à une exécution extrajudiciaire par des agents de l’Etat n’ont pas été établies. En outre, l’examen des éléments du dossier ne permet pas de conclure que le seuil de gravité exigé par l’article 3, dans ce type particulier de situations, ait été atteint. Dès lors, elle conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 3.

Quant à la détention des intéressés, si les parties s’accordent à reconnaître qu’ils ont été placés en garde à vue, il existe une divergence quant à la date à laquelle celle-ci a débuté. Or, il n’existe aucune trace officielle de leur placement en garde à vue. Selon la Cour, le défaut de consignation du placement en garde à vue d’un individu ainsi que de données telles que la date de l’arrestation, le lieu de détention, le nom du détenu ainsi que les raisons de la détention et l’identité de la personne qui y a procédé doit passer pour incompatible avec l’objectif même de l’article 5 de la Convention. En outre, le Gouvernement affirme que ces personnes ont été placées en garde à vue sur la base des déclarations d’un individu, mais n’a pas produit de copie du procès-verbal de déposition en question. Le nom de cette personne n’apparaît d’ailleurs dans aucun registre comme personne régulièrement détenue. Dans ces conditions, la Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 5.

Constatant que İbrahim Kaya ne fournit aucun élément à l’appui de ses allégations, la Cour conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 8.

En ce qui concerne le grief tiré des articles 6, 13 et 14, la Cour décide de les examiner sous l’angle de l’article 13. Ayant conclu que l’enquête judiciaire n’a pas offert un cadre adéquat pour établir les circonstances dans lesquelles les proches des requérants sont décédés, la Cour conclut à la violation de l’article 13 dont les exigences vont plus loin que l’obligation de mener une enquête imposée par l’article 2.

Au vu de l’ensemble de ses conclusions, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 18.

La Cour alloue à chacun des neuf requérants restants 15 000 EUR pour préjudice moral. Au titre des frais et dépens elle octroie 5 160 EUR à İbrahim Kaya et 3 000 EUR aux huit autres requérants conjointement. (L’arrêt n’existe qu’en français.)


Emire Eren Keskin c. Turquie (no 49564/99) Violation de l’article 10 Violation de l’article 6 § 1

Emire Eren Keskin est une ressortissante turque née en 1959 et résidant à Istanbul, qui à l’époque des faits exerçait la profession d’avocate.

En avril 1995, la revue bimestrielle Medya Güneşi (Le soleil de Medya – bien que littéralement le nom Medya se traduise par « média », l’emploi de ce terme fait allusion au pays des Meds, le pays mythique des Kurdes) publia une interview de la requérante. Cette dernière y qualifiait de « guerre » et « barbarisme » les actions des autorités turques dans le Sud-Est du pays et l’article employait des termes empreints d’une agressivité certaine et de virulence.

Poursuivie pour avoir diffusé de la propagande séparatiste par voie de presse, la requérante fut condamnée par la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul à une peine d’un an et quatre mois d’emprisonnement, qui fut réduite à un an, un mois et dix jours en raison du comportement de l’intéressée durant l’audience. En novembre 1999, le procureur sursit à l’exécution de la peine de la requérante en application de la loi no 4454 prévoyant le sursis à l’exécution des peines pour les infractions commises par voie de presse.

La requérante se plaignait que sa condamnation pénale avait emporté violation de l’article 10 (liberté d’expression). Elle se plaignait également de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable en violation de l’article 6 § 1, en raison notamment de la présence d’un magistrat militaire dans la composition de la cour de sûreté de l’Etat l’ayant jugée et condamnée.

La Cour estime que les motifs retenus par les juridictions internes ne sauraient être considérés en eux-mêmes comme suffisants pour justifier l’ingérence dans le droit de la requérante à la liberté d’expression. Il s’agit là d’un reflet de l’attitude intransigeante adoptée par l’une des parties au conflit plutôt que d’une incitation à la violence. La Cour relève en outre la sévérité de la sanction infligée à l’intéressée. Dans ces conditions, elle estime que la condamnation de la requérante est disproportionnée aux buts visés et, dès lors, non « nécessaire dans une société démocratique ». Il y a donc eu violation de l’article 10.

D’autre part, comme elle a déjà eu l’occasion de le faire dans nombre d’affaires similaires, la Cour juge, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 en ce qui concerne le grief tiré d’un manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat. Quant à l’autre grief tiré de l’iniquité de la procédure, la Cour rappelle qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction ; elle estime par conséquent qu’il n’y a pas lieu de l’examiner.

Au titre de la satisfaction équitable, la Cour alloue à la requérante 7 500 EUR pour préjudice moral et 3 000 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en français.)

Antonenkov et autres c. Ukraine (no 14183/02) Violation de l’article 6 § 1 Non-violation de l’article 2 du Protocole no 4

Les requérants, Alexeï Anatolievitch Antonenkov, Alexeï Anatolievitch Dioukine et Vladimir Petrovitch Stolitni sont des ressortissants ukrainiens nés en 1967, 1959 et 1970 respectivement et résidant à Kiev.

Le 26 juin 1996, une procédure pénale fut ouverte contre les requérants, qui furent ensuite arrêtés car ils étaient soupçonnés d’escroquerie et de vol. En avril et mai 1997, le tribunal du district de Chevtchenkovsky, à Kiev, ordonna leur remise en liberté après qu’ils s’étaient engagés à ne pas s’enfuir.

Entre avril 1997 et avril 2002, le tribunal de district programma 77 audiences, dont beaucoup furent ajournées ou annulées. Il reporta deux fois l’examen de l’affaire.

Le 19 juillet 2002, le tribunal de district abandonna les poursuites pour escroquerie, détournement et faux. La procédure pénale pour vol engagée contre M. Antonenkov et M. Dioukine est toujours pendante.

Les requérants dénonçaient la durée de la procédure pénale dirigée contre eux et se plaignaient de la restriction prolongée apportée à leur liberté de circulation du fait de leur engagement de ne pas prendre la fuite. Ils invoquaient l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable) et l’article 2 du Protocole no 4 (liberté de circulation).

La Cour note que dans le cas de M. Stolitni la procédure a duré six ans et un mois, et qu’elle s’est étendue sur neuf ans et quatre mois pour MM. Antonenkov et Dioukine. La Cour estime que nombre des retards sont imputables au comportement des juridictions internes et que les procédures n’ont pas été menées à terme dans un délai raisonnable, en violation de l’article 6 § 1.

Concernant l’obligation imposée aux requérants pendant la procédure de solliciter l’autorisation du tribunal chaque fois qu’ils souhaitaient quitter leur lieu de résidence habituelle, la Cour considère que la mesure contestée poursuivait un but légitime et qu’elle était proportionnée. Elle conclut donc qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 4.

La Cour dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 4. Elle alloue 2 000 EUR à M. Stolitni et 3 000 EUR à chacun des deux autres requérants pour préjudice moral. De plus, elle accorde à chaque requérant 1 000 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

Affaires répétitives

Dans les affaires suivantes, la Cour est parvenue aux mêmes constatations que dans des affaires similaires soulevant des questions analogues au regard de la Convention.

Freymuth et Golinelli c. France (nos 65823/01 et 65273/01) Violation de l’article 6 § 1

Les requérants, Patrick Golinelli et Patrick Freymuth, sont des ressortissants français nés en 1951 et 1954 respectivement et résidant en France à Lantefontaine et Marly. M. Golinelli effectuait des transports routiers pour le compte d’une société appartenant à M. Freymuth.

En août 1996, le tribunal correctionnel de Thionville déclara les requérants coupables d’avoir importé, sans autorisation, des marchandises soumises à justification d’origine, et les condamna chacun au paiement d’une amende pénale et d’une amende douanière. Les requérants intentèrent un deuxième pourvoi, qui fut rejeté par la Cour de cassation le 21 juin 2000.

Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), les requérants dénonçaient l’iniquité de la procédure devant la Cour de cassation du fait de l’absence de communication, avant l’audience, des conclusions de l’avocat général et l’impossibilité pour eux d’y répondre, faute d’avoir été convoqués à l’audience.

La Cour déclare la requête recevable quant à l’absence de communication des conclusions de l’avocat général et l’impossibilité d’y répondre, ainsi que l’absence de convocation à l’audience. Elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 6 § 1, du fait de l’absence de communication aux requérants du sens des conclusions de l’avocat général, auxquelles ils ont donc été dans l’impossibilité de répondre. Eu égard à cette conclusion, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’absence de convocation des requérants à l’audience.

La Cour dit que le constat d’une violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par les requérants. (L’arrêt n’existe qu’en français.)

Bulut c. Turquie (no 49892/99)

Ebru Demir c. Turquie (no 60262/00)

Yağiz et autres c. Turquie (no 57344/00) Violation de l’article 6 § 1

Dans ces trois affaires, les requérants ont été traduits devant une cour de sûreté de l’Etat et condamnés à des peines d’emprisonnement en raison de leur appartenance ou de l’aide et assistance qu’ils ont portées à des organisations armées illégales. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), les intéressés soutenaient n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable, en raison notamment de la présence d’un magistrat militaire dans la composition des cours de sûreté de l’Etat. En outre, dans l’affaire Yağiz et autres, les requérants se plaignaient de la durée de la procédure dirigée contre eux.

La Cour juge, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 en ce qui concerne le grief tiré d’un manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat. Quant aux autres griefs tirés de l’iniquité de la procédure, elle rappelle qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction ; elle estime par conséquent qu’il n’y a pas lieu de les examiner.

Quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure dans l’affaire Yağiz et autres, la Cour relève qu’elle s’est étendue sur cinq ans et quatre mois pour l’un des requérants et sur quatre ans et quatre mois pour l’autre requérant. Eu égard aux circonstances de l’espèce et à la durée globale de la procédure, la Cour estime que de telles durées n’ont pas dépassé le « délai raisonnable » et elle conclut dès lors à la non-violation de l’article 6 § 1 sur ce point.

Sur l’application de l’article 41 (satisfaction équitable), la Cour estime, à l’unanimité dans chacune de ces affaires, que les présents arrêts constituent en soi des satisfactions équitables suffisantes pour le préjudice moral allégué par les requérants. Elle rappelle que lorsqu’elle conclut que la condamnation d’un requérant a été prononcée par un tribunal qui n’était pas indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1, en principe le redressement le plus approprié serait de le faire rejuger en temps utile par un tribunal indépendant et impartial. Au titre des frais et dépens, la Cour alloue 1 500 EUR à Ebru Demir et 500 EUR aux requérants conjointement dans l’affaire Yağiz et autres.

(L’arrêt Bulut c. Turquie n’existe qu’en anglais et les arrêts Yağiz et autres et Ebru Demir c. Turquie n’existent qu’en français.)

Gaïdaï c. Ukraine (no 18949/03)

Kojanova c. Ukraine (no 27349/03)

Kroutko c. Ukraine (no 22246/02)

Litovokina c. Ukraine (no 35741/04)

Melnikova c. Ukraine (no 24626/03)

Mirochnitchenko c. Ukraine (no 29420/03)

Ovtcharenko c. Ukraine (no 5578/03)

Romantchenko c. Ukraine (no 5596/03)

Tsanga c. Ukraine (no 14612/03) Violation de l’article 6 § 1 Violation de l’article 1 du Protocole no 1 Violation de l’article 13

Les requérants se plaignaient tous de l’inexécution prolongée, en raison de l’absence de fonds publics, de jugements leur accordant une indemnité. Ils invoquaient tous l’article 6 § 1 (accès à un tribunal), à l’exception du requérant dans l’affaire Tsanga, qui invoquait uniquement l’article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété). Dans les affaires Gaïdaï, Kojanova, Litovokina, Melnikova et Romantchenko, les requérants invoquaient également l’article 1 du Protocole no1, et, dans l’affaire Ovtcharenko, le requérant invoquait l’article 13 (droit à un recours effectif).

La Cour, à l’unanimité, déclare toutes ces requêtes recevables, à l’exception des requêtes formées dans les affaires Kojanova et Ovtcharenko, qui sont déclarées partiellement recevables.

Concernant l’article 6 § 1, la Cour observe qu’une autorité de l’Etat ne saurait prétexter du manque de ressources pour ne pas se conformer à une décision de justice. La Cour note que les jugements en question ont manqué à être exécutés durant de longues périodes et que le Gouvernement n’a avancé aucune explication plausible pouvant justifier cette situation. En conséquence, la Cour dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 dans toutes les affaires, à l’exception de l’affaire Tsanga, et qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no1 dans les affaires Tsanga, Gaïdaï, Kojanova, Litovokina, Melnikova et Romantchenko.

Dans l’affaire Ovtcharenko, la Cour constate l’absence de recours effectif permettant de réparer le préjudice causé par le retard intervenu dans l’exécution du jugement en question. Il y a donc eu violation de l’article 13.

La Cour alloue aux requérants des sommes comprises entre 990 et 4 000 EUR pour préjudice matériel et préjudice moral, et 200 EUR pour frais et dépens dans l’affaire Melnikova. (Les arrêts n’existent qu’en anglais, à l’exception de l’arrêt rendu dans l’affaire Tsanga, qui n’existe qu’en français).

***

Rédigés par le greffe, ces résumés ne lient pas la Cour. Le texte complet des arrêts de la Cour est disponible sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme
F – 67075 Strasbourg Cedex
Contacts pour la presse : Roderick Liddell (téléphone : +00 33 (0)3 88 41 24 92)
Emma Hellyer (téléphone : +00 33 (0)3 90 21 42 15)
Stéphanie Klein (téléphone : +00 33 (0)3 88 41 21 54)
Beverley Jacobs (téléphone : +00 33 (0)3 90 21 54 21)
Télécopieur : +00 33 (0)3 88 41 27 91

La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Elle se compose d’un nombre de juges égal à celui des Etats parties à la Convention. Siégeant à temps plein depuis le 1er novembre 1998, elle examine en chambres de 7 juges ou, exceptionnellement, en une Grande Chambre de 17 juges, la recevabilité et le fond des requêtes qui lui sont soumises. L’exécution de ses arrêts est surveillée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. La Cour fournit sur son site Internet des informations plus détaillées concernant son organisation et son activité.



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[1] L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Pour le reste, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

Tuesday, November 22, 2005

Birmanie : Kouchner n’a pas vu d’esclaves mais Total les indemnise

Analyses
Birmanie : Kouchner n’a pas vu d’esclaves mais Total les indemnise,
par Maxime Vivas.


30 Novembre 2005.


Afin d’éviter un procès, la société Total accepte de verser 10 000
euros à chacun des sept Birmans qui l’accusent d’avoir été
contraints de travailler gratuitement pour elle sous la menace de
l’armée birmane en 1995. Ces exactions ont eu lieu en 1992-1998 sur le
chantier du gazoduc Yadana, construit par Total et une compagnie
américaine pour relier un gisement maritime birman à la Thaïlande.
Total accepte aussi de consacrer 5,2 millions d’euros à
l’indemnisation d’autres personnes qui pourraient justifier d’un
emploi comme travailleur forcé et à des « actions humanitaires
collectives pour l’habitat, la santé et l’éducation ». En 2002,
Total avait fait appel à Bernard Kouchner pour la cautionner. Dans un
rapport payé 25 000 euros, Kouchner avait affirmé que la compagnie
pétrolière, contrairement à ce que certains esprits « mal informés »
ont pu supputer, avait en réalité lutté contre le travail forcé en
Birmanie Cette volte-face du pétrolier ne surprendra pas ceux qui ont lu
ce que j’écrivais il y a presque deux ans. Au contraire, ils trouveront
que bien des informations sont toujours occultées par la presse et que le
rôle de Kouchner est singulièrement édulcoré au moment même où les
colonnes dégoulinent de ses dernières déclarations : « Je suis prêt
pour les présidentielles de 2007 ».


Pardon de me citer ci-dessous, mais il importe de rafraîchir les
mémoires et de compléter le dossier.


Kouchner et les tyrans sanguinaires.


7 janvier 2004, par Maxime Vivas, écrivain.


Bernard Kouchner, défend le droit des peuples, traque l’oppression,
partout et sans se tromper. Ami des pauvres, il vit chichement avec son
épouse, Christine Ockrent. Le tarif de celle-ci pour animer une
demi-journée de réunion est seulement de 18 000 €. Lui (Le Monde du 6
janvier), déclare se contenter de 12 500 € pour une conférence.
Militant de la guerre en Irak et du PS, Kouchner était, le 29 septembre
2003, à la soirée anticubaine organisée par l’officine « Reporters
sans frontières » au théâtre des Champs-Elysées. Quelques mois plus
tôt, empochant 25 000 € versés par Total, il avait pondu un rapport
affirmant que ce groupe pétrolier ne pouvait aucunement être mis en
cause pour son comportement en Birmanie.


Or, la terrible vérité est la suivante si l’on en croit la presse, des
témoins directs, d’autres compagnies pétrolières, divers groupes
multinationaux, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme,
l’Organisation Internationale du travail, l’Union Européenne, l’ONU
et la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale
française. Cette dernière a publié un rapport d’information (N° 1859
du 13 octobre 1999) sur « Le rôle des compagnies pétrolières dans la
politique internationale et son impact social et environnemental ». La
junte birmane, parvenue au pouvoir après un coup d’Etat qui a renversé
en 1988 le gouvernement démocratiquement élu, est couramment décrite
comme une narco-dictature, La Birmanie est un lieu de non-droit propice à
toutes les violences, tortures, arrestations arbitraires, viols,
fabrication et commercialisation de drogue, rackets, blanchiment
d’argent (Lire F. Christophe « Total entre marée noire et blanchiment
» éd. Golias). En 1990, les généraux se risquent à organiser une
consultation électorale. Hélas ! pour eux, elle consacre la victoire de
la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), dirigée par Mme Aung San
Suu Kyi. Aux 82% des voix obtenues par l’opposition, la junte militaire
répond par un nouveau coup d’Etat, suivi d’une féroce répression
avec emprisonnement de milliers de démocrates et assassinats de chefs de
l’opposition. L’opposition birmane demande à la communauté
internationale de ne pas aider les généraux putschistes à se maintenir
au pouvoir. Comment ? En coupant les pompes à finances. Il faut en effet
savoir que l’armée birmane absorbe 40 % du budget du pays. Elle compte
400 000 hommes et ne cesse de se moderniser. Pourquoi une armée si
importante, alors que la Birmanie ne se connaît pas d’ennemi extérieur
? Pour mater l’ennemi intérieur, son propre peuple. Le projet gazier «
Yadana », du nom du lieu où se trouve le gisement, rapportera aux
militaires plusieurs centaines de millions de dollars par an. Mais ils
n’ont pas les moyens financiers et techniques permettant de le mener à
bien. La junte cherche un partenaire capable d’épauler la compagnie
d’Etat : la Myanmar Oil & Gas Entreprise (la MOGE). Total signe un
contrat avec la junte en 1992. Mais l’exploitation du gisement
nécessite d’autres capitaux. C’est ainsi, que les militaires vont
contacter la compagnie américaine UNOCAL (l’Union Oil of CALifornie
corporation). C’est la même compagnie qu’on retrouvera en Afghanistan
pour y construire un gazoduc. Ce projet nécessitait un pays pacifié et
« tenu » par un pouvoir fort. De là, l’aide accordée à l’époque
par les USA aux Talibans pour la conquête du pouvoir. Bon, les compagnies
pétrolières ont la puissance financière et technique suffisante pour
exploiter le gaz. Reste la question des débouchés. Par bonheur, un pays
voisin, la Thaïlande, recherche une source d’énergie pour alimenter
une centrale électrique dans la région de Kanchanaburi. Un accord va
être passé entre Total, UNOCAL, MOGE et la compagnie thaïlandaise
PTT-EP (PeTroleum authority of Thaïland Exploration Production public).
Le consortium a désormais pour tâche prioritaire de construire un
gazoduc qui traversera la Birmanie d’est en ouest sur soixante
kilomètres. Gros travaux. Et gros problème. En effet, le tracé du
gazoduc traverse une zone de guérillas. Sur leur territoire, deux
ethnies, les Mons et les Karens sont en rébellion depuis des décennies
contre le pouvoir de Rangoon. Le consortium pétrolier exige une «
sécurisation » de la zone. Des observateurs affirment que les
pétroliers auraient apporté un soutien logistique aux militaires pour le
transport des troupes par hélicoptères. Il semblerait en tout cas
qu’un des sous-traitants, la compagnie Héli-Union qui accomplissait ces
missions pour Total sur les plates formes pétrolières, a rendu ce
service aux militaires birmans. Elle a effectué des vols de transport
pour l’armée birmane et pas forcément dans la zone du gazoduc.
L’armée birmane n’étant pas solvable, Total aurait réglé les notes
d’Héli-Union. Toujours est-il que le nombre de bataillons en territoire
Mon et Karen, à proximité immédiate du gazoduc, est passé de trois à
quinze. Le gouvernement en exil dénonce alors une flagrante immixtion
politico-militaire du consortium dans les affaires intérieures birmanes.


Mais il y plus grave encore. Tandis que le consortium et les militaires
oeuvrent de concert, l’Organisation Internationale du Travail
(L’O.I.T) enquête sur place. Les découvertes s’avèrent assez graves
pour que la Birmanie soit exclue de l’O.I.T. De quoi s’agit-il ? De
violations constantes aux droits de l’homme, du recours au « travail
forcé ». L’O.I.T. écrit que cet abus est « massif et systématique
». D’autres organisations de défense des droits de l’homme
soutiennent que Total et UNOCAL ont bénéficié du travail forcé des
villageois raflés dans leurs villages par l’armée. Est-ce à dire que
le consortium a directement utilisé des esclaves ? Il semble tout au
moins établi que le portage des armes, la construction et l’entretien
des baraquements militaires ont été dévolus aux villageois. Or, à quoi
servait cette infrastructure ? Au consortium pétrolier. Mieux, John Imle,
qui n’est rien moins que le président UNOCAL, affirme que le partage
des tâches, pour être tacite, n’en était pas moins réel. Des
témoins affirment que des porteurs utilisés par l’armée étaient
payés par Total. Mieux, une mission parlementaire française est envoyée
sur place pour enquêter. Extraits de son rapport : « Il apparaît
factice de séparer la construction du Gazoduc, qui nécessitait
l’embauche d’une main-d’ouvre qualifiée et des moyens techniques
considérables, des mesures prises par le régime birman pour assurer sa
sécurité. Or, ce sont ces mesures de sécurité qui ont généré du
travail forcé et des déplacements de population dans la zone. [.] Total
et UNOCAL n’ont pas volontairement utilisé du travail forcé pour la
construction du gazoduc, mais en ont indirectement bénéficié, en raison
de la militarisation de la zone ». En conséquence, la mission
parlementaire recommande (en vain) que Total « fige » ses activités en
Birmanie. Quant à UNOCAL, elle fait l’objet d’un recours en justice
aux Etats-Unis. L’avocat des plaignants remarque que les villageois ont
été obligés de travailler et ont été payés par les étrangers. Cela
démontre que l’armée birmane était impliquée dans le projet de
gazoduc et qu’elle était présente dans les opérations de nettoyage
préalable à la construction des infrastructures nécessaires au chantier
(routes, héliports). Les exactions militaires dans une douzaine de
villages à l’occasion de ce chantier ont également été dénoncées
par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et par
plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) qui font état de
déplacements de populations manu militari et même d’exécutions
sommaires. Le scandale est tel que le gouvernement belge a alors décidé
de ne pas renouveler un contrat de six cents millions de francs français
avec la compagnie Total pour cause de « collusion » avec le régime de
Rangoon. Dans une déclaration au quotidien Le Monde en juillet 1996, Aung
San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991, place Total au premier rang des
soutiens dont bénéficie le régime de Rangoon Enfin, l’Union
Européenne, l’ONU et même les Etats-Unis, ont dû prendre des
résolutions à l’encontre de la junte. Plusieurs multinationales,
craignant d’être éclaboussées (ce qui nuit au bisness), quittent la
Birmanie en invoquant le « manque de démocratie ». Citons : Texaco,
Atlantic Richfield, Arco, Pepsi Cola, Levi’s, Interbrew, Carlsberg,
Heineken, Reebok, C & A, Hewlett Packard, Eastman Kodak. D’autres, comme
Unilever ont cité la Birmanie comme étant un pays où ils ne feraient
pas commerce. Il en va de même de Shell et Exxon. Total reste sur place.
Et que dit l’ONU ? Une déclaration de son Rapporteur spécial en avril
1999, reprend les mêmes accusations avec des éléments aggravants : «
La situation des droits de l’Homme à l’Est de la « Birmanie » est
extrêmement préoccupante. La stratégie d’affrontement poursuivie par
les militaires à l’encontre des minorités conduira inexorablement à
une véritable catastrophe humanitaire. Un demi million de personnes ont
été déplacées et plus de 100 000 personnes se sont réfugiées en
Thaïlande. »


Tous les faits rapportés plus haut sont connus et dénoncés depuis des
années dans le monde entier. Kouchner, lui, enquête en Birmanie en 2002
aux frais de Total et il nous rassure : aucun esclavagisme. « Je suis
sûr à 95 % que les gens de Total ne sont pas capables de faire ça ».
Des enfants esclaves ? Que nenni car « les tuyaux des pipe-lines sont
trop lourds pour être portés par des enfants » (sic). Mais voici que
Total reconnaît avoir dû protester contre les méthodes de l’armée
birmane, que lors d’un débat dans une FNAC à Paris, le pétrolier
confesse tardivement avoir indemnisé 400 birmans, forcés au travail par
l’armée sur le gazoduc. Voici qu’un témoin affirme avoir vu
l’armée obliger des villageois à déminer le terrain avec leurs pieds
et sauter sur des mines. [1] Kouchner ne sait rien de tout cela.
Impitoyable pourfendeur de Cuba où jamais l’armée ne s’est tournée
contre son peuple, ni ne pratique la torture, le viol, le racket, où les
paysans ne sont pas utilisés comme chair à mines, où les enfants sont
à l’école et pas sur des chantiers, où les richesses ne sont pas
confisquées par une minorité ou bradée à une autre puissance, où les
opposants ne sont pas assassinés aux coins des rues, où l’espérance
de vie est la plus longue de tous les pays pauvres, Kouchner, tout seul
contre le reste du monde, absout Total au pays des tyrans sanguinaires.
Voici que la Fédération Internationale des Droits de l’Homme regrette
son comportement dans cette affaire au moment où le groupe (un des plus
riches du monde) « doit enfin rendre des comptes à la justice ». Peu
lui chaut ! L’homme brigue l’Elysée et il n’est pas impossible, si
ses compromissions honteuses ne sont pas dénoncées partout, qu’il
devienne un jour, pour notre plus grande honte, notre président (au terme
d’une campagne électorale dont on se demande bien qui la financera).

Saturday, November 19, 2005

France : Etat d'urgence décrété le 8 novembre

Etat d’urgence : le Conseil d'Etat devrait se prononcer sur le décret du 8 novembre 2005


Le Conseil d'Etat s’est penché samedi sur «l'état d'urgence», décrété le 8 novembre par le gouvernement en vertu d'une loi de 1955, appliquée deux fois, lors de la guerre d'Algérie et durant les troubles en Nouvelle-Calédonie en 1985.

Bruno Genevoix, le président de la «section contentieux», a demandé plusieurs précisions aux requérants, explique le quotidien "Libération" (14/11)
«L'état d'exception ne peut être une mesure de confort, assure Frédéric Rolin, professeur de droit public, qui attaque le décret pour illégalité, car ses conséquences sont extrêmement graves et s'appliquent de façon non délimitée à tout le territoire.»

Entre autres, et partout en France, l'extension des pouvoirs de police avec des perquisitions de jour et de nuit, hors le contrôle d'un magistrat, la restriction d'aller et venir dont le couvre-feu et l'assignation à résidence, la restriction des réunions, la possibilité de fermer des salles de spectacle, le contrôle de la presse... «Chacun a pu mesurer l'importance, la gravité et la diffusion des troubles», justifie Stéphane Fratacci, directeur des libertés publiques du ministère de l'Intérieur

La loi prévoit également que les «assignés à résidence» peuvent former un recours (devant des commissions ad hoc, non encore constituées.

Quant aux perquisitions à toute heure, «le Conseil constitutionnel est extrêmement réservé sur le sujet, note le président. Je suis très soucieux de la réponse de l'administration. Estime-t-elle que les perquisitions de jour et de nuit sont autorisées, selon les règles du code de procédure?» Le directeur des libertés publiques ne répond pas, précise le quotidien.

Bruno Genevoix conclut : «Trois grandes interrogations subsistent»: la très large application de «l'urgence», le régime juridique des perquisitions et les garanties aux assignés à résidence.

Le Conseil d’Etat confirme la légalité des décrets du 8 novembre :

Le Conseil d’Etat a confirmé hier 14 novembre 2005 la légalité des décrets du 8 novembre instaurant l’état d’urgence sur tout le territoire.

Le matin, le Conseil des ministres avait adopté un projet de loi prolongeant cet état d’urgence au-delà du 21 novembre prochain, soit jusqu’au 20 février 2006 à minuit. Les députés devaient examiner ce texte ce 15 novembre.

Le Conseil d’Etat a estimé que, compte tenu de l’aggravation continue des violences urbaines depuis le 27 octobre 2005, de leur propagation à une partie importante du territoire métropolitain et des atteintes à la sécurité publique, la légalité des décrets n’est pas remise en cause par le fait que les décrets confèreraient au régime de l’état d’urgence un champ d’application s’étendant inutilement à l’ensemble de la France métropolitaine

En outre, le Conseil d’Etat a rappelé que le législateur de 1955 n’avait pas souhaité que les pouvoirs de perquisition conférés par l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 au ministre de l’intérieur ou au préfet ne soient pas soumis au contrôle de l’autorité judiciaire.

Rappelons que les préfets peuvent ainsi interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté et instituer des zones de protection ou de sécurité dans lesquelles le séjour des personnes est réglementé. A l’intérieur des zones de protection ou de sécurité, le ministre de l’Intérieur peut prendre des mesures d’assignation à résidence ou de remise des armes. Les préfets peuvent également prononcer la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature, ainsi que l’interdiction de réunions. Enfin, le ministre de l’Intérieur ou les préfets peuvent ordonner des perquisitions.

Birmanie : L'ONU réprouve les violations des droits de l'homme en Birmanie

NEW YORK - L'Assemblée générale des Nations unies a adopté vendredi une résolution réprouvant les violations des droits de l'homme en Birmanie. Le texte a été adopté par consensus après qu'une motion déposée par Cuba et visant à empêcher un vote eut été repoussée.

La résolution, déposée par l'Union européenne, exprime la «grave préoccupation» de l'Assemblée devant «les violations systématiques des droits de l'homme en Birmanie» dont souffrent notamment «les minorités ethniques, les femmes et les enfants». Le texte réprouve les «viols et violences sexuelles», le «recours à la torture», les «arrestations et maintiens en détention sommaires», «le travail forcé et le trafic d'êtres humains».

L'Assemblée se déclare également préoccupée par le non-respect des droits fondamentaux d'Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix et secrétaire générale du principal parti d'opposition (la Ligue nationale pour la démocratie), et de son adjoint Tin Oo, tous deux en résidence surveillée.

L'Assemblée accueille cependant avec satisfaction la libération par le gouvernement de 249 prisonniers politiques, l'établissement d'un comité pour la prévention du recrutement d'enfants soldats et la ratification de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée. «Nous nous dissocions entièrement de cette résolution», a déclaré l'ambassadeur de Birmanie aux Nations unies, Kyaw Tint Swe.

L'ambassadeur a dénoncé «une intention très nette de l'Union européenne de faire de la micro-gestion dans les affaires politiques du Myanmar sous prétexte de se soucier des droits de l'homme». Les résolutions de l'Assemblée générale n'ont pas de caractère contraignant.

Friday, November 18, 2005

L'Europe malmène ses libertés au nom de la lutte antiterroriste

Alors que le conseil des ministres devait adopter, mercredi, le projet de loi présenté par Nicolas Sarkozy, la plupart des pays de l'Union ont déjà durci leur arsenal sécuritaire au risque de remettre en question certains droits fondamentaux. Ce nouveau climat crée des tensions avec les juges
Le ministre français de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, devait présenter à Paris, mercredi 26 octobre, en CONSEIL DES MINISTRES, son projet de loi antiterroriste qui sera débattu à l'Assemblée nationale à partir du 22 novembre. Le texte prévoit notamment le renforcement de la VIDÉOSURVEILLANCE, l'exploitation des données téléphoniques et des consultations Internet ainsi qu'un durcissement des peines. Dans le contexte d'une guerre en Irak qui dope l'activisme des DJIHADISTES, les pays européens renforcent leur dispositif sécuritaire au risque de s'exposer à la critique de remettre en question certains DROITS fondamentaux. Karen Greenberg, expert de l'université de New York, tient les services antiterroristes français pour un « bon modèle » tout en jugeant encore imparfaite la COOPÉRATION transatlantique.

L prochaine adoption par la France de nouvelles dispositions antiterroristes relance, dans différents Etats de l'Union européenne et chez les défenseurs des droits de l'homme, les débats sur l'efficacité de tels dispositifs et sur leur compatibilité avec le respect des droits fondamentaux.

Tandis que des pays évoquent des risques accrus d'attentats - en Italie, pour les Jeux olympiques d'hiver de Turin en février ou à l'occasion des élections législatives du 9 avril ; en Allemagne, pour la Coupe du monde de football, en juin et juillet 2006 ; aux Pays-Bas, à l'occasion du procès du « groupe Hofstad », en décembre -, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) a publié, lundi 24 octobre, un rapport appelant aux respects des droits fondamentaux en matière de détention, de procès équitable, de respect de la vie privée, d'extradition, etc.

En mai, Amnesty International avait, dans une autre étude, déploré « l'absence de garde-fous en matière de droits humains » dans le domaine de l'antiterrorisme en Europe.

Peu de temps auparavant, la Commission des droits de l'homme des Nations unies avait décidé de nommer un rapporteur spécial chargé d'évaluer la protection des droits de l'homme et des libertés dans la lutte contre le terrorisme.

Aujourd'hui les regards sont tournés, surtout, vers la Grande-Bretagne, dont la quatrième loi antiterroriste depuis 2000 est en discussion. Le texte comporte une disposition prévoyant que le délai de garde à vue avant une inculpation pourra aller jusqu'à trois mois. Il est de quatorze jours actuellement. L'Espagne, dont la Constitution, votée avec le retour à la démocratie après la mort du général Franco, a fait une place, dès l'origine, à la lutte contre le terrorisme basque, permet qu'un suspect soit placé au secret pendant treize jours. Il ne peut, durant cette période, communiquer ni avec l'avocat ni avec le médecin de son choix. Le défenseur qui est commis d'office ne peut lui parler et le juge d'instruction peut couvrir par un secret complet tout ou partie de son dossier. Des terroristes présumés peuvent être placés en préventive pendant un maximum de quatre ans. C'est le gouvernement conservateur de José Maria Aznar qui, en 2003, a porté le délai de mise au secret à treize jours : il était de cinq jours antérieurement.

POLÉMIQUE SUR LES EXPULSIONS

Aux Pays-Bas, où l'on débat aussi des délais de garde à vue et de détention préventive, des voix se sont élevées pour réclamer l'instauration d'un système « à l'israélienne », permettant l'incarcération de suspects pendant plusieurs mois, sur la base d'informations fournies par les seuls services de renseignements. La droite allemande, dont un membre, le chrétien-démocrate Wolfgang Schäuble, a été désigné comme prochain ministre de l'intérieur, suggère, de son côté, une modification de la loi afin de pouvoir emprisonner de manière préventive les étrangers soupçonnés d'activités islamistes radicales.

Le projet britannique comporte une disposition faisant de « la glorification des actes de terrorisme » un délit passible de sept années de prison. Pour poursuivre un suspect, la justice devra cependant prouver son intention de provoquer des actes terroristes. M. Blair aimerait voir le nouveau dispositif adopté avant la fin de l'année. Il n'ignore pas, cependant, que son gouvernement a dû battre en retraite, en décembre 2004, lorsque les « Law Lords » - sept magistrats de la Chambre des Lords - ont jugé contraire à la Convention européenne des droits de l'homme une disposition de 2001 qui permettait d'incarcérer de façon illimitée des étrangers suspectés de terrorisme, sans inculpation ni jugement.

Quatorze ONG britanniques réclament par ailleurs que soient jugées irrecevables les informations obtenues sous la torture dans d'autres pays. Les Law Lords devront trancher.

Une autre polémique porte sur l'expulsion des indésirables. L'Italie, entre autres, a multiplié les coups de filet depuis le 11 mars 2004 et a expulsé plusieurs imams de Turin et de Milan. Le gouvernement allemand du chancelier Schröder s'est, quant à lui, heurté à la Cour constitutionnelle, qui a bloqué, en juillet, l'extradition vers l'Espagne d'un responsable présumé d'Al-Qaida. Les juges ont, à cette occasion, appelé le législateur a repréciser les modalités d'application du mandat d'arrêt européen, adopté par l'Union après le 11 septembre 2001.

La Grande-Bretagne a, pour sa part, signé avec la Jordanie et la Libye des accords prévoyant l'expulsion d'extrémistes jugés indésirables. Ils sont vingt-deux, détenus sur le sol britannique, dont le Jordanien Abou Qatada, chef spirituel présumé d'Al-Qaida en Europe. Londres négocie des accords avec le Liban, l'Egypte et l'Algérie, mais pourrait se heurter au veto des autorités judiciaires, même si les accords stipulent que les droits humains des intéressés seront respectés dans leur pays d'accueil. Un refus accroîtrait le fossé entre le gouvernement et la police d'un côté et les juges de l'autre. Le gouvernement Blair affirme que l'Italie, le Portugal, la Slovaquie et la Lituanie feront cause commune avec lui pour contester un jugement de la Cour européenne des droits de l'homme qui, en 1996, a empêché le renvoi de suspects vers des Etats où ils risquent la torture.

Jean-Pierre Stroobants, avec nos correspondants à Berlin, Londres, Madrid et Rome

Iran : nouvelles exécutions d’homosexuels

Deux hommes ont été pendus en public dans le nord de l’Iran après avoir été condamnés pour homosexualité selon un journal "semi-officiel" publié dimanche.

Ce journal rapporte que les deux hommes, Mokhtar N. et Ali A. étaient respectivement âgés de 24 et 25 ans et ont été condamnés au nom de la loi islamique qui bannit l’homosexualité. Les victimes sont, comme à chaque fois dans les affaires touchant à l’homosexualité, accusées d’enlèvement et de viol pour mieux justifier leur exécution.

Cette affaire rappelle naturellement les autres exécutions intervenues en juillet et août dernier en Iran qui avaient provoqué une grande émotion en occident au sein des communautés LGBT et des opposants à la peine de mort.

Le groupe en exil de défense des droits des gays iraniens Homan avance que le gouvernement iranien aurait exécuté 4 000 gays depuis 1979.

Plusieurs pays européens ont suspendu les extraditions de gays iraniens depuis la connaissance des exécutions, mais les Etats-Unis et la Grande Bretagne sont restés silencieux sur cette situation.

Mis en ligne le 15/11/05
Source : http://www.e-llico.com

Revenus pétroliers des pays du Golfe : Halte au gaspillage

Clinton : “Halte au gaspillage !” Par K. Abdelkamel

S’érigeant en moralisateur, l’ancien président des États-Unis, Bill Clinton, exhorte les dirigeants des pays du Golfe à cesser de gaspiller les revenus des richesses pétrolières.
C’est un véritable pavé dans la mare que vient de lancer Bill Clinton en reprochant aux émirs du Moyen-Orient de gaspiller l’argent du pétrole. Intervenant mardi lors d’une conférence sur le leadership politique organisée à Abou Dhabi aux Émirats Arabes Unis, l’ex-patron de la Maison-Blanche de 1993 à 2000 a critiqué l’usage que font les émirs des États du Golfe de l’argent provenant de la vente des hydrocarbures. “Si j’étais un dictateur éclairé pour l’ensemble du Proche-Orient, je l’aurai transformé, non pas en centre pétrolier du monde, mais en centre énergétique”, a lancé Bill Clinton en direction des dirigeants des pays de cette région du monde aux réserves pétrolifères inestimables.Se permettant de donner des leçons à ses hôtes, il proposera qu’une partie des fonds provenant des ventes des hydrocarbures soit investie dans les ressources d’énergie alternatives pour assurer leur survie à long terme. Il dira en substance : “J’aurai investi une partie des réserves dans les pays pauvres où les gens n’ont pas suffisamment d’argent (...) et je les aurais instruit. J’aurai également fabriqué d’énormes quantités de technologies pour la production d’énergies alternatives.” Sûr de lui le prédécesseur de George Bush critiquera vertement les gestionnaires de cette rente pétrolière notamment pour les bons plaisirs personnels qu’ils s’offrent avec. “Lorsqu’on a un gros cadeau et une richesse abondante (...) on l’utilise pour des plaisirs passagers (…) sans penser à l’avenir”, a-t-il notamment déclaré. Continuant sur sa lancée, il ajoutera : “Lorsqu’on possède plein de richesses, on est tenté de passer du bon temps sans penser à ce qu’il faut faire.” Il ne manquera pas d’alerter ses interlocuteurs sur le fait que les richesses pétrolières ne sont pas éternelles, d’où la nécessité d’en faire le meilleur usage possible. “Si on est un pays producteur de pétrole, (...) si on est assis sur un produit (...) qui vaut beaucoup d’argent (...) et qui ne va pas durer éternellement, il faut se demander que dois-je faire avec cette chose”, a insisté Bill Clinton.Reste à savoir quelle interprétation il faut donner à cette sortie médiatique de l’ex-président US, qui s’était toujours tenu à entretenir des relations de respect mutuel avec les rois et chefs d’État des pays du Golfe, durant ses deux mandats présidentiels. Certains observateurs n’ont pas hésité à faire le lien entre cette leçon de morale et la “fondation Clinton”, à caractère caritatif et de droits de l’Homme, qui est en quête de moyens financiers pour concrétiser ses objectifs.

Opinion : Pour une approche professionnelle et juridique des « Droits de l’Homme »


Par Lucien ACCAD, Docteur d’Etat en Droit, Membre du Comité Directeur de l’IDEF,
Expert « Démocratie-Droits de l’Homme » auprès de la Commission Européenne, Ancien Observateur des Droits de l’Homme au Darfour (Soudan), Ancien Chef de l’Unité Justice de l’Office du Haut Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies au Burundi, Ancien chef du projet franco-burundais « Appui à la restauration de l’Etat de Droit au Burundi ».


Le titre peut paraître provocateur : c’est parce qu’il se veut tel.

Provoquer, selon le « Robert » a un double sens : 1° « Inciter, pousser (quelqu’un) à..., par une sorte de défi ou d’appel. » - 2° « Etre (volontairement ou non) la cause de... »

Dans son premier sens, nous revendiquons « l’incitation à.... » et dans le second sens « la volonté d’être la cause de... »

Cette double démarche, a pour point de départ un double constat :
- L’expression « Droits de l’Homme » paraît être un « slogan », une expression à vocation humanitaire, sociologique, culturelle qui voudrait exclure la dimension juridique !
- Cette approche des « Droits de l’Homme » conduit, dès lors à recruter, pour « les défendre », non point des professionnels du Droit, mais, au mieux, des militants, quand il ne s’agit pas de transfuges de la bureaucratie onusienne, qui peuvent avoir reçu une formation juridique sans, toutefois, avoir jamais exercé une profession juridique ou judiciaire, en rapport avec les « Droits de l’Homme » mais dont la qualité primordiale est l’anglophonie [1], l’anglomania étant fort à la mode dans les instances internationales [2], et plus particulièrement aux Nations Unies.

L’approche professionnelle

On doit déplorer deux phénomènes qui affaiblissent le combat pour la défense des Droits de l’Homme, plus communément appelés aujourd’hui « Droits Humains » : la tendance généralisée à assimiler ces Droits à un slogan et l’approche presque exclusivement militantiste voire administrative des dits Droits.

I - Les « Droits de l’Homme » slogan

Tout d’abord, on ne considère, aujourd’hui, que les violations des droits de l’homme [3] qui concernent les atteintes à l’intégrité physique, à la vie, ou aux libertés individuelles, et ce, non pour en demander la sanction, mais pour les dénoncer. Démarche nécessaire, certes, mais notoirement insuffisante : la démarche pédagogique de la dénonciation doit, pour être efficace, s’ouvrir vers la dimension judiciaire. La dénonciation a une vocation de promotion, la sanction une vocation de protection et ces deux démarches doivent être cumulatives et non exclusives l’une de l’autre. La meilleure prévention demeure, encore, une efficace répression.
Ensuite, la mobilisation des observateurs sur les rapports à lire, en provenance du siège et d’ailleurs, et à adresser au siège marque l’aspect administratif prépondérant de leur présence sur le terrain. (v. note N°2...)
Conséquences de cette approche « slogan » :
Si la dimension judiciaire est exclue de l’approche des « Droits de l’Homme » pour les bien pensants pour qui toute idée de répression est proprement inhumaine, il n’en demeure pas moins que, dans les pays livrés à une guerre civile, les instances internationales, et plus particulièrement onusiennes, se précipitent à évoquer un « culte de l’impunité », sous prétexte que des crimes demeurent impunis, sans chercher à établir si les capacités judiciaires étatiques sont en mesure d’exercer efficacement les poursuites.
Seuls les inconvénients de l’impunité sont relevés, qu’on va attribuer à une absence de volonté, sans prendre la peine d’identifier les véritables sources, mécaniques pourrait-on dire, de ladite impunité, livrant ainsi un véritable procès d’intention aux autorités nationales.
Par exemple : au Burundi, en guerre civile depuis 1993, il a été établi, en octobre par une mission d’expertise ordonnée par la Commission Européenne, qu’il n’existe que moins de 150 officiers de Police judiciaire dépendant du ,Ministère publique, lesquels ne disposent que d’un seul véhicule, attribué à leur chef ; ils sont privés même de stylo et de papier pour prendre les dépositions ou procéder aux interrogatoires, ce qui entraîne, de facto l’allongement illégal de la garde à vue, des libérations de suspects non déférés à la Justice, pour ne pas amplifier les garde-à-vue illégales ; au Darfour Nord, il existe moins d’une dizaine de magistrats pour instruire et juger, les dits magistrats ayant, de surcroît, une compétence générale tant en matière civile, commerciale que pénale, ce qui entraîne soit une durée excessive des détentions provisoires, soit des mises en liberté jugées arbitraires, parce que prématurées...Dans ces deux cas, peut-on parler « d’organisation de l’impunité » quand les moyens les plus élémentaires manquent pour exercer des poursuites ? On peut objecter que les plus hautes autorités ont sciemment privé les pouvoirs publics des moyens indispensables aux poursuites, mais c’est également là faire un procès d’intention tant que rien n’a été scientifiquement établi, et c’est le reproche essentiel que l’on peut adresser à ces intervenants internationaux, certes animés des meilleures intentions, mais qui se précipitent à condamner avant d’avoir instruit et juger : la cause principale de ce comportement est leur manque de professionnalisme.
C’est qu’en réalité, il semblerait, d’expérience, que la défense des « Droits de l’Homme » est livrée, davantage à des amateurs, des bureaucrates ou, au mieux, des « militants » : une enquête de terrain pourrait aisément l’établir.

II - Droits de l’Homme et militantisme

Certes, l’approche humanitaire, sociologique, des Droits de l’Homme, a été à l’origine, d’abord de déclarations et autres chartes, universelle, internationale, africaine, européenne. Mais, tant que les « Droits de l’Homme » sont demeurés hors du champ juridique proprement dit, c’est-à-dire, sans définition précise d’infractions auxquelles étaient prévues expressément les sanctions appropriées ainsi que les juridictions compétentes pour en connaître, ils étaient des vœux pieux et ne conduisaient, au mieux, qu’à la constitution des Tribunaux internationaux ad hoc, comme le TPIR [4] et le TPIY [5] dont l’approche, empirique, a conduit à de multiples réforme de leurs procédures...
Conséquences de l’approche exclusivement « humanitaire » :
1° La plupart des « spécialistes » des Droits de l’Homme recrutés par les Nations Unies pour servir sur les terrains d’opérations de « maintien de la Paix », soit par le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme à Genève, soit par la Division des Opérations de Maintien de la Paix à New-York, sont davantage recrutés pour leur militantisme dans des ONGs que pour leur professionnalisme juridique ou judiciaire : bon nombre d’entre eux ignore les fondements juridiques des Droits de l’Homme dont, pourtant, ils sont présentés comme experts. En effet :
2° Une fois sur le terrain, ces « spécialistes » des Droits de l’homme confondent « crimes de droit commun » et « violations des Droits de l’Homme », deux notions qui, si elles sont proches par le dommage causé à une innocente victime, désarmée, sont pourtant fort distinctes par le fait que la première est consécutive à des comportements individuels, même s’il s’agit de plusieurs individus qui agissent de conserve, l’autre à des comportements collectifs, « institutionnalisés » : ainsi, un viol, un meurtre, des actes de torture, même commis par un militaire, ou plusieurs militaires en groupe, pour constituer une violation des droits de l’Homme, c’est-à-dire des crimes contre l’Humanité, doivent, aux termes des statuts de Rome créant la CPI [66], avoir été « ... commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque... » sinon, ils devront être considérés comme des crimes de droit commun, de la compétence, non point des juridictions internationales, mais nationales [7]. Cette définition a affiné celles précédemment adoptées par les statuts du TPIY et du TPIR qui sanctionnent les mêmes crimes mais, pour le premier, « ... lorsqu’ils ont été commis au cours d’un conflit armé, de caractère international ou interne, et dirigés contre une population civile quelle qu’elle soit... » [8] et pour le second « ... lorsqu’ils ont été commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse... ». [9] [10] Le fait de ne pas distinguer les crimes de droit commun, pour lesquels les « observateurs des droits de l’Homme » ne devraient pas être compétents, des violations des Droits de l’Homme, définis comme étant des « crimes contre l’Humanité », qui délimitent la compétence des fonctionnaires internationaux, conduit à des comportements de type « néo-colonialiste » discréditant l’action des institutions onusiennes et conduisent les autorités nationales à avoir un comportement pour le moins réservé à l’encontre des fonctionnaires des Nations Unies, lorsqu’elles ne les déclarent pas « persona non grata ».
L’approche Juridique
Demander la sanction de la violation d’un des droits fondamentaux de l’Homme, c’est s’adresser à l’autorité compétente susceptible d’infliger une condamnation c’est-à-dire à la Justice [11].
Le mot DROIT se définit, classiquement, comme un ensemble de règles établies par un pouvoir compétent et susceptibles d’être sanctionnées par les Tribunaux (double intervention du pouvoir législatif et judiciaire).
Il faut l’affirmer : en matière de « Droits » de l’Homme, comme pour toute mise en œuvre d’un quelconque Droit, sans intervention du Juge, point de Droit ! Il ne resterait qu’un concept moral, éthique, religieux, non susceptible d’entraîner une sanction pénale...Or, la protection de l’Homme, et de ses droits, nécessite plus qu’une condamnation morale ou religieuse : le recours à la sanction pénale prononcée par une juridiction compétente.
L’intervention du Juge doit être nationale et, si besoin, internationale, car les Droits de l’Homme ne doivent connaître aucune frontière. Lorsque le juge légitime, c’est-à-dire le juge national, fait défaut, il doit être relayé par le juge international, qui n’a pas le droit de se dérober, sous réserve qu’il s’agisse bien d’un crime international ci-dessus défini.
La communauté internationale semble en avoir pris conscience en créant, d’abord des juridictions pénales internationales ad hoc (le TPI d’Arusha pour le Rwanda, celui de La Haye pour l’ex-Yougoslavie) ; puis la Cour Pénale Internationale, située également à La Haye. [12].
Toutefois, la lenteur avec laquelle ces juridictions rendent leurs décisions les décrédibilise et pousse à la réflexion et au choix d’une autre méthode d’intervention : le TPI d’Arusha pour le Rwanda n’a jugé, en plus de 10 ans d’existence, que moins d’une trentaine de responsables de génocides ; le TPI de La Haye pour l’ex-Yougoslavie piétine depuis près de douze ans [13].... Par ailleurs, le coût de fonctionnement de ces juridictions est astronomique : le coût du TPIR (Rwanda) est évalué à plus d’un million de dollars par an.
On doit alors concevoir que c’est vers le renforcement des capacités des juridictions nationales qu’il conviendrait d’orienter les efforts de la communauté internationale : outre l’avantage indicible d’une résurrection du sentiment nationale de justice, du recul du sentiment d’impunité et, par voie de conséquence, d’éviter le recours à la « vendetta », financer une restructuration de l’Etat de Droit dans les pays dévastés par des guerres civiles cycliques serait moins onéreux au « contribuable international » et certainement plus efficace en terme de répression, donc de prévention. La responsabilisation des barreaux locaux et leur soutien, en tous domaines, doit être une priorité en amont de l’intervention des fonctionnaires internationaux des Droits de l’Homme : c’est là, également, une étape indispensable, pour la restauration des institutions judiciaires d’un Etat de Droit
La comparaison de deux situations « génocidaires » identiques est riche d’enseignement : celle du Burundi et celle du Rwanda :
Au Burundi, où la guerre civile dure depuis plus d’une décennie le bilan des victimes est trois fois inférieurs à celui du Rwanda, où la guerre tribale a cessé depuis plusieurs années, mais qui a fait près d’un million de victimes. Or, au Burundi, où il n’y a point de juridiction internationale, alors que plus de 10.000 détenus, ont été accusés de génocide et arrêtés, plus de 3000 ont été jugés en 10 ans, grâce au renforcement des structures judiciaires, notamment par le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies qui y a installé un bureau et recruté 8 avocats nationaux et 6 avocats « internationaux », pour un coût estimé à moins de 150.000 $ annuels, alors que dans le même temps, au Rwanda voisin, le TPIR, qui coûte à la communauté internationale plus d’un millions de dollars par an, soit près de dix fois le coût du Burundi, moins d’une trentaine de cas a été jugée...
On ne peut trouver d’exemple plus significatif.

Pour conclure, il conviendrait de :
- veiller à un recrutement des spécialistes des Droits de l’Homme sur des critères professionnels et leur assurer une formation conforme à leur mission, en insistant sur un comportement qui doit exclure toute attitude à tendance néo-colonialiste. L’heureuse nomination, à la tête du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies d’une éminente juriste [14], Haut magistrat ayant exercé les responsabilités de Procureur des juridictions internationales citées [15], ouvre l’espoir d’aller dans cette direction.
- Multiplier les structures d’assistance aux juridictions nationales est la solution vers laquelle il serait souhaitable de s’orienter : former le personnel judiciaire [16] tant aux droits de l’Homme, qu’à l’exercice de leur profession dans la dignité et la compétence ; aider à les équiper ; soutenir l’action des justiciables en leur procurant l’assistance intellectuelle, juridique, morale, financière pour leur montrer la voie du recours à la Justice, c’est le chemin de l’efficacité dans le combat pour la protection et la promotion des Droits de l’Homme.
Les juridictions internationales [17] devraient être continentales, à l’instar de la Cour Européenne des droits de l’Homme, ou, en matière du droit des affaires en Afrique, de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA [18], ou, enfin, la Cour Africaine des Droits de l’Homme [19], et constitueraient des juridictions de dernier recours, après que les juridictions nationales, formées comme il vient d’être souhaité [20], auront statué.
D’autres informations et analyses sur le site de l’IDEF www.institut-idef.org

[1] Alors que les langues officielles des Nations Unies sont au nombre de 6 : anglais, arabe, chinois, espagnol, français, russe. Ainsi, à titre d’exemple, au Soudan, dont la langue officielle est l’arabe, langue des Nations Unies,il est exigé, pour y servir, de parler non point cette langue, mais , à l’exclusion de toute autre langue de l’ONU, l’anglais, peu importent, par ailleurs, les compétences juridiques ou judiciaires des candidats. L’anglophone a droit à interprète arabe-anglais, mais point le francophone, l’hispanophone, le sinophone ou le russophone. N’est-ce pas là une violation flagrante de l’article 1er de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme qui dispose : « Tous les êtres naissent....égaux...en droits... » à l’exclusion des fonctionnaires de l’ONU...
[2] L’intérêt principal étant d’alimenter, en rapports, les services du siège, peuplés d’anglophones, et d’en occuper les bureaucrates plutôt que de servir le pays en crise. On parle souvent de « rapportite » et de « réunionite aigüe » qui phagocytent le temps si précieux des hommes et femmes du « terrain ».
[3] A titre d’exemple, on n’évoque jamais, : Les Conventions successives sur la politique de l’emploi ; sur l’immigration ; sur le droit des femmes, sur le droit des enfants ; sur le droit au mariage etc....Bref toutes les conventions relatives aux droits économiques, sociaux et politiques qui couvrent, pratiquement, l’ensemble des domaines du Droit. V in fine la note 1.
[4] Tribunal pénal international pour le Rwanda créé en 1995 et dont la procédure a été amendée 14 fois depuis sa création !
[5] Tribunal Pénal international pour l’ex-Yougoslavie, crée en 1993 et dont la procédure a été amendée 5 fois depuis sa création.
[6] article 7 du statut de la CPI.
[7] Dans le cas contraire on violerait le principe défini par l’article 7 de la Charte des Nations-Unies qui dit : « Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII. »
[8] Article 5 Crimes contre l’humanité : Le Tribunal international est habilité à juger les personnes présumées responsables des crimes suivants lorsqu’ils ont été commis au cours d’un conflit armé, de caractère international ou interne, et dirigés contre une population civile quelle qu’elle soit...
[9] La liste énumérative étant superflue dès lors que l’on avait précisé « ... contre une population civile quelle qu’elle soit... ».
[10] Article 3 Crimes contre l’humanité : Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à juger les personnes responsables des crimes suivants lorsqu’ils ont été commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse...
[11] L’exemple de la Cour Européenne des droits de l’Homme est très significatif ; toutefois, pour les développements qui vont suivre, il faut considérer que la juridiction européenne tend davantage à réguler le Droit des pays à très vieille tradition juridique et judiciaire alors que cet article est davantage orienté vers les systèmes de soutien aux pays « émergents » qui sont en crise...
[12] On peut utilement se demander quelle est l’avenir de cette pratique qui consiste à créer des juridictions pénales internationales ad hoc, dès lors que la CPI est instituée, lorsqu’il faut juger des crimes universels commis dans des pays qui n’ont pas adhéré à la Convention de Rome...
[13] Mme Louise Arbour, alors Procureur du TPIY, a en 1997, vertement tancé la France qu’elle a rendu partiellement responsable des lenteurs des poursuites en « se traînant les pieds » pour arrêter les criminels.
[14] Que d’aucuns, à juste titre, n’ont pas hésité à qualifier de « juriste la plus éminente de la planète » pour ses courageuses prises de position dénuées de toute complaisance.
[15] TPIY et TPIR.
[16] Le personnel judiciaire doit s’entendre de tous ceux qui participent à l’exercice de la justice : magistrats et auxiliaires de justice (huissiers, avocats etc.) ; policiers et gendarmes...
[17] En l’occurrence la CPI, dont il conviendrait de réformer les statuts, pour en renforcer l’efficacité, notamment en précisant son caractère subsidiaire de manière à ce qu’elle ne puisse pas être dessaisie, les juridictions nationales devant avoir été saisies des crimes universelles avant elle...
[18] Organisation pour l’Harmonisation du droit des Affaires en Afrique.
[19] En cours de constitution.
[20] A l’exemple de ce qui se fait en matière de droit des affaires des pays de l’OHADA , des instituts régionaux post-universitaires de formation aux Droits de l’Homme pourraient être crées.