Birmanie : Kouchner n’a pas vu d’esclaves mais Total les indemnise
Analyses
Birmanie : Kouchner n’a pas vu d’esclaves mais Total les indemnise,
par Maxime Vivas.
30 Novembre 2005.
Afin d’éviter un procès, la société Total accepte de verser 10 000
euros à chacun des sept Birmans qui l’accusent d’avoir été
contraints de travailler gratuitement pour elle sous la menace de
l’armée birmane en 1995. Ces exactions ont eu lieu en 1992-1998 sur le
chantier du gazoduc Yadana, construit par Total et une compagnie
américaine pour relier un gisement maritime birman à la Thaïlande.
Total accepte aussi de consacrer 5,2 millions d’euros à
l’indemnisation d’autres personnes qui pourraient justifier d’un
emploi comme travailleur forcé et à des « actions humanitaires
collectives pour l’habitat, la santé et l’éducation ». En 2002,
Total avait fait appel à Bernard Kouchner pour la cautionner. Dans un
rapport payé 25 000 euros, Kouchner avait affirmé que la compagnie
pétrolière, contrairement à ce que certains esprits « mal informés »
ont pu supputer, avait en réalité lutté contre le travail forcé en
Birmanie Cette volte-face du pétrolier ne surprendra pas ceux qui ont lu
ce que j’écrivais il y a presque deux ans. Au contraire, ils trouveront
que bien des informations sont toujours occultées par la presse et que le
rôle de Kouchner est singulièrement édulcoré au moment même où les
colonnes dégoulinent de ses dernières déclarations : « Je suis prêt
pour les présidentielles de 2007 ».
Pardon de me citer ci-dessous, mais il importe de rafraîchir les
mémoires et de compléter le dossier.
Kouchner et les tyrans sanguinaires.
7 janvier 2004, par Maxime Vivas, écrivain.
Bernard Kouchner, défend le droit des peuples, traque l’oppression,
partout et sans se tromper. Ami des pauvres, il vit chichement avec son
épouse, Christine Ockrent. Le tarif de celle-ci pour animer une
demi-journée de réunion est seulement de 18 000 €. Lui (Le Monde du 6
janvier), déclare se contenter de 12 500 € pour une conférence.
Militant de la guerre en Irak et du PS, Kouchner était, le 29 septembre
2003, à la soirée anticubaine organisée par l’officine « Reporters
sans frontières » au théâtre des Champs-Elysées. Quelques mois plus
tôt, empochant 25 000 € versés par Total, il avait pondu un rapport
affirmant que ce groupe pétrolier ne pouvait aucunement être mis en
cause pour son comportement en Birmanie.
Or, la terrible vérité est la suivante si l’on en croit la presse, des
témoins directs, d’autres compagnies pétrolières, divers groupes
multinationaux, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme,
l’Organisation Internationale du travail, l’Union Européenne, l’ONU
et la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale
française. Cette dernière a publié un rapport d’information (N° 1859
du 13 octobre 1999) sur « Le rôle des compagnies pétrolières dans la
politique internationale et son impact social et environnemental ». La
junte birmane, parvenue au pouvoir après un coup d’Etat qui a renversé
en 1988 le gouvernement démocratiquement élu, est couramment décrite
comme une narco-dictature, La Birmanie est un lieu de non-droit propice à
toutes les violences, tortures, arrestations arbitraires, viols,
fabrication et commercialisation de drogue, rackets, blanchiment
d’argent (Lire F. Christophe « Total entre marée noire et blanchiment
» éd. Golias). En 1990, les généraux se risquent à organiser une
consultation électorale. Hélas ! pour eux, elle consacre la victoire de
la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), dirigée par Mme Aung San
Suu Kyi. Aux 82% des voix obtenues par l’opposition, la junte militaire
répond par un nouveau coup d’Etat, suivi d’une féroce répression
avec emprisonnement de milliers de démocrates et assassinats de chefs de
l’opposition. L’opposition birmane demande à la communauté
internationale de ne pas aider les généraux putschistes à se maintenir
au pouvoir. Comment ? En coupant les pompes à finances. Il faut en effet
savoir que l’armée birmane absorbe 40 % du budget du pays. Elle compte
400 000 hommes et ne cesse de se moderniser. Pourquoi une armée si
importante, alors que la Birmanie ne se connaît pas d’ennemi extérieur
? Pour mater l’ennemi intérieur, son propre peuple. Le projet gazier «
Yadana », du nom du lieu où se trouve le gisement, rapportera aux
militaires plusieurs centaines de millions de dollars par an. Mais ils
n’ont pas les moyens financiers et techniques permettant de le mener à
bien. La junte cherche un partenaire capable d’épauler la compagnie
d’Etat : la Myanmar Oil & Gas Entreprise (la MOGE). Total signe un
contrat avec la junte en 1992. Mais l’exploitation du gisement
nécessite d’autres capitaux. C’est ainsi, que les militaires vont
contacter la compagnie américaine UNOCAL (l’Union Oil of CALifornie
corporation). C’est la même compagnie qu’on retrouvera en Afghanistan
pour y construire un gazoduc. Ce projet nécessitait un pays pacifié et
« tenu » par un pouvoir fort. De là, l’aide accordée à l’époque
par les USA aux Talibans pour la conquête du pouvoir. Bon, les compagnies
pétrolières ont la puissance financière et technique suffisante pour
exploiter le gaz. Reste la question des débouchés. Par bonheur, un pays
voisin, la Thaïlande, recherche une source d’énergie pour alimenter
une centrale électrique dans la région de Kanchanaburi. Un accord va
être passé entre Total, UNOCAL, MOGE et la compagnie thaïlandaise
PTT-EP (PeTroleum authority of Thaïland Exploration Production public).
Le consortium a désormais pour tâche prioritaire de construire un
gazoduc qui traversera la Birmanie d’est en ouest sur soixante
kilomètres. Gros travaux. Et gros problème. En effet, le tracé du
gazoduc traverse une zone de guérillas. Sur leur territoire, deux
ethnies, les Mons et les Karens sont en rébellion depuis des décennies
contre le pouvoir de Rangoon. Le consortium pétrolier exige une «
sécurisation » de la zone. Des observateurs affirment que les
pétroliers auraient apporté un soutien logistique aux militaires pour le
transport des troupes par hélicoptères. Il semblerait en tout cas
qu’un des sous-traitants, la compagnie Héli-Union qui accomplissait ces
missions pour Total sur les plates formes pétrolières, a rendu ce
service aux militaires birmans. Elle a effectué des vols de transport
pour l’armée birmane et pas forcément dans la zone du gazoduc.
L’armée birmane n’étant pas solvable, Total aurait réglé les notes
d’Héli-Union. Toujours est-il que le nombre de bataillons en territoire
Mon et Karen, à proximité immédiate du gazoduc, est passé de trois à
quinze. Le gouvernement en exil dénonce alors une flagrante immixtion
politico-militaire du consortium dans les affaires intérieures birmanes.
Mais il y plus grave encore. Tandis que le consortium et les militaires
oeuvrent de concert, l’Organisation Internationale du Travail
(L’O.I.T) enquête sur place. Les découvertes s’avèrent assez graves
pour que la Birmanie soit exclue de l’O.I.T. De quoi s’agit-il ? De
violations constantes aux droits de l’homme, du recours au « travail
forcé ». L’O.I.T. écrit que cet abus est « massif et systématique
». D’autres organisations de défense des droits de l’homme
soutiennent que Total et UNOCAL ont bénéficié du travail forcé des
villageois raflés dans leurs villages par l’armée. Est-ce à dire que
le consortium a directement utilisé des esclaves ? Il semble tout au
moins établi que le portage des armes, la construction et l’entretien
des baraquements militaires ont été dévolus aux villageois. Or, à quoi
servait cette infrastructure ? Au consortium pétrolier. Mieux, John Imle,
qui n’est rien moins que le président UNOCAL, affirme que le partage
des tâches, pour être tacite, n’en était pas moins réel. Des
témoins affirment que des porteurs utilisés par l’armée étaient
payés par Total. Mieux, une mission parlementaire française est envoyée
sur place pour enquêter. Extraits de son rapport : « Il apparaît
factice de séparer la construction du Gazoduc, qui nécessitait
l’embauche d’une main-d’ouvre qualifiée et des moyens techniques
considérables, des mesures prises par le régime birman pour assurer sa
sécurité. Or, ce sont ces mesures de sécurité qui ont généré du
travail forcé et des déplacements de population dans la zone. [.] Total
et UNOCAL n’ont pas volontairement utilisé du travail forcé pour la
construction du gazoduc, mais en ont indirectement bénéficié, en raison
de la militarisation de la zone ». En conséquence, la mission
parlementaire recommande (en vain) que Total « fige » ses activités en
Birmanie. Quant à UNOCAL, elle fait l’objet d’un recours en justice
aux Etats-Unis. L’avocat des plaignants remarque que les villageois ont
été obligés de travailler et ont été payés par les étrangers. Cela
démontre que l’armée birmane était impliquée dans le projet de
gazoduc et qu’elle était présente dans les opérations de nettoyage
préalable à la construction des infrastructures nécessaires au chantier
(routes, héliports). Les exactions militaires dans une douzaine de
villages à l’occasion de ce chantier ont également été dénoncées
par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et par
plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) qui font état de
déplacements de populations manu militari et même d’exécutions
sommaires. Le scandale est tel que le gouvernement belge a alors décidé
de ne pas renouveler un contrat de six cents millions de francs français
avec la compagnie Total pour cause de « collusion » avec le régime de
Rangoon. Dans une déclaration au quotidien Le Monde en juillet 1996, Aung
San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991, place Total au premier rang des
soutiens dont bénéficie le régime de Rangoon Enfin, l’Union
Européenne, l’ONU et même les Etats-Unis, ont dû prendre des
résolutions à l’encontre de la junte. Plusieurs multinationales,
craignant d’être éclaboussées (ce qui nuit au bisness), quittent la
Birmanie en invoquant le « manque de démocratie ». Citons : Texaco,
Atlantic Richfield, Arco, Pepsi Cola, Levi’s, Interbrew, Carlsberg,
Heineken, Reebok, C & A, Hewlett Packard, Eastman Kodak. D’autres, comme
Unilever ont cité la Birmanie comme étant un pays où ils ne feraient
pas commerce. Il en va de même de Shell et Exxon. Total reste sur place.
Et que dit l’ONU ? Une déclaration de son Rapporteur spécial en avril
1999, reprend les mêmes accusations avec des éléments aggravants : «
La situation des droits de l’Homme à l’Est de la « Birmanie » est
extrêmement préoccupante. La stratégie d’affrontement poursuivie par
les militaires à l’encontre des minorités conduira inexorablement à
une véritable catastrophe humanitaire. Un demi million de personnes ont
été déplacées et plus de 100 000 personnes se sont réfugiées en
Thaïlande. »
Tous les faits rapportés plus haut sont connus et dénoncés depuis des
années dans le monde entier. Kouchner, lui, enquête en Birmanie en 2002
aux frais de Total et il nous rassure : aucun esclavagisme. « Je suis
sûr à 95 % que les gens de Total ne sont pas capables de faire ça ».
Des enfants esclaves ? Que nenni car « les tuyaux des pipe-lines sont
trop lourds pour être portés par des enfants » (sic). Mais voici que
Total reconnaît avoir dû protester contre les méthodes de l’armée
birmane, que lors d’un débat dans une FNAC à Paris, le pétrolier
confesse tardivement avoir indemnisé 400 birmans, forcés au travail par
l’armée sur le gazoduc. Voici qu’un témoin affirme avoir vu
l’armée obliger des villageois à déminer le terrain avec leurs pieds
et sauter sur des mines. [1] Kouchner ne sait rien de tout cela.
Impitoyable pourfendeur de Cuba où jamais l’armée ne s’est tournée
contre son peuple, ni ne pratique la torture, le viol, le racket, où les
paysans ne sont pas utilisés comme chair à mines, où les enfants sont
à l’école et pas sur des chantiers, où les richesses ne sont pas
confisquées par une minorité ou bradée à une autre puissance, où les
opposants ne sont pas assassinés aux coins des rues, où l’espérance
de vie est la plus longue de tous les pays pauvres, Kouchner, tout seul
contre le reste du monde, absout Total au pays des tyrans sanguinaires.
Voici que la Fédération Internationale des Droits de l’Homme regrette
son comportement dans cette affaire au moment où le groupe (un des plus
riches du monde) « doit enfin rendre des comptes à la justice ». Peu
lui chaut ! L’homme brigue l’Elysée et il n’est pas impossible, si
ses compromissions honteuses ne sont pas dénoncées partout, qu’il
devienne un jour, pour notre plus grande honte, notre président (au terme
d’une campagne électorale dont on se demande bien qui la financera).
Birmanie : Kouchner n’a pas vu d’esclaves mais Total les indemnise,
par Maxime Vivas.
30 Novembre 2005.
Afin d’éviter un procès, la société Total accepte de verser 10 000
euros à chacun des sept Birmans qui l’accusent d’avoir été
contraints de travailler gratuitement pour elle sous la menace de
l’armée birmane en 1995. Ces exactions ont eu lieu en 1992-1998 sur le
chantier du gazoduc Yadana, construit par Total et une compagnie
américaine pour relier un gisement maritime birman à la Thaïlande.
Total accepte aussi de consacrer 5,2 millions d’euros à
l’indemnisation d’autres personnes qui pourraient justifier d’un
emploi comme travailleur forcé et à des « actions humanitaires
collectives pour l’habitat, la santé et l’éducation ». En 2002,
Total avait fait appel à Bernard Kouchner pour la cautionner. Dans un
rapport payé 25 000 euros, Kouchner avait affirmé que la compagnie
pétrolière, contrairement à ce que certains esprits « mal informés »
ont pu supputer, avait en réalité lutté contre le travail forcé en
Birmanie Cette volte-face du pétrolier ne surprendra pas ceux qui ont lu
ce que j’écrivais il y a presque deux ans. Au contraire, ils trouveront
que bien des informations sont toujours occultées par la presse et que le
rôle de Kouchner est singulièrement édulcoré au moment même où les
colonnes dégoulinent de ses dernières déclarations : « Je suis prêt
pour les présidentielles de 2007 ».
Pardon de me citer ci-dessous, mais il importe de rafraîchir les
mémoires et de compléter le dossier.
Kouchner et les tyrans sanguinaires.
7 janvier 2004, par Maxime Vivas, écrivain.
Bernard Kouchner, défend le droit des peuples, traque l’oppression,
partout et sans se tromper. Ami des pauvres, il vit chichement avec son
épouse, Christine Ockrent. Le tarif de celle-ci pour animer une
demi-journée de réunion est seulement de 18 000 €. Lui (Le Monde du 6
janvier), déclare se contenter de 12 500 € pour une conférence.
Militant de la guerre en Irak et du PS, Kouchner était, le 29 septembre
2003, à la soirée anticubaine organisée par l’officine « Reporters
sans frontières » au théâtre des Champs-Elysées. Quelques mois plus
tôt, empochant 25 000 € versés par Total, il avait pondu un rapport
affirmant que ce groupe pétrolier ne pouvait aucunement être mis en
cause pour son comportement en Birmanie.
Or, la terrible vérité est la suivante si l’on en croit la presse, des
témoins directs, d’autres compagnies pétrolières, divers groupes
multinationaux, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme,
l’Organisation Internationale du travail, l’Union Européenne, l’ONU
et la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale
française. Cette dernière a publié un rapport d’information (N° 1859
du 13 octobre 1999) sur « Le rôle des compagnies pétrolières dans la
politique internationale et son impact social et environnemental ». La
junte birmane, parvenue au pouvoir après un coup d’Etat qui a renversé
en 1988 le gouvernement démocratiquement élu, est couramment décrite
comme une narco-dictature, La Birmanie est un lieu de non-droit propice à
toutes les violences, tortures, arrestations arbitraires, viols,
fabrication et commercialisation de drogue, rackets, blanchiment
d’argent (Lire F. Christophe « Total entre marée noire et blanchiment
» éd. Golias). En 1990, les généraux se risquent à organiser une
consultation électorale. Hélas ! pour eux, elle consacre la victoire de
la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), dirigée par Mme Aung San
Suu Kyi. Aux 82% des voix obtenues par l’opposition, la junte militaire
répond par un nouveau coup d’Etat, suivi d’une féroce répression
avec emprisonnement de milliers de démocrates et assassinats de chefs de
l’opposition. L’opposition birmane demande à la communauté
internationale de ne pas aider les généraux putschistes à se maintenir
au pouvoir. Comment ? En coupant les pompes à finances. Il faut en effet
savoir que l’armée birmane absorbe 40 % du budget du pays. Elle compte
400 000 hommes et ne cesse de se moderniser. Pourquoi une armée si
importante, alors que la Birmanie ne se connaît pas d’ennemi extérieur
? Pour mater l’ennemi intérieur, son propre peuple. Le projet gazier «
Yadana », du nom du lieu où se trouve le gisement, rapportera aux
militaires plusieurs centaines de millions de dollars par an. Mais ils
n’ont pas les moyens financiers et techniques permettant de le mener à
bien. La junte cherche un partenaire capable d’épauler la compagnie
d’Etat : la Myanmar Oil & Gas Entreprise (la MOGE). Total signe un
contrat avec la junte en 1992. Mais l’exploitation du gisement
nécessite d’autres capitaux. C’est ainsi, que les militaires vont
contacter la compagnie américaine UNOCAL (l’Union Oil of CALifornie
corporation). C’est la même compagnie qu’on retrouvera en Afghanistan
pour y construire un gazoduc. Ce projet nécessitait un pays pacifié et
« tenu » par un pouvoir fort. De là, l’aide accordée à l’époque
par les USA aux Talibans pour la conquête du pouvoir. Bon, les compagnies
pétrolières ont la puissance financière et technique suffisante pour
exploiter le gaz. Reste la question des débouchés. Par bonheur, un pays
voisin, la Thaïlande, recherche une source d’énergie pour alimenter
une centrale électrique dans la région de Kanchanaburi. Un accord va
être passé entre Total, UNOCAL, MOGE et la compagnie thaïlandaise
PTT-EP (PeTroleum authority of Thaïland Exploration Production public).
Le consortium a désormais pour tâche prioritaire de construire un
gazoduc qui traversera la Birmanie d’est en ouest sur soixante
kilomètres. Gros travaux. Et gros problème. En effet, le tracé du
gazoduc traverse une zone de guérillas. Sur leur territoire, deux
ethnies, les Mons et les Karens sont en rébellion depuis des décennies
contre le pouvoir de Rangoon. Le consortium pétrolier exige une «
sécurisation » de la zone. Des observateurs affirment que les
pétroliers auraient apporté un soutien logistique aux militaires pour le
transport des troupes par hélicoptères. Il semblerait en tout cas
qu’un des sous-traitants, la compagnie Héli-Union qui accomplissait ces
missions pour Total sur les plates formes pétrolières, a rendu ce
service aux militaires birmans. Elle a effectué des vols de transport
pour l’armée birmane et pas forcément dans la zone du gazoduc.
L’armée birmane n’étant pas solvable, Total aurait réglé les notes
d’Héli-Union. Toujours est-il que le nombre de bataillons en territoire
Mon et Karen, à proximité immédiate du gazoduc, est passé de trois à
quinze. Le gouvernement en exil dénonce alors une flagrante immixtion
politico-militaire du consortium dans les affaires intérieures birmanes.
Mais il y plus grave encore. Tandis que le consortium et les militaires
oeuvrent de concert, l’Organisation Internationale du Travail
(L’O.I.T) enquête sur place. Les découvertes s’avèrent assez graves
pour que la Birmanie soit exclue de l’O.I.T. De quoi s’agit-il ? De
violations constantes aux droits de l’homme, du recours au « travail
forcé ». L’O.I.T. écrit que cet abus est « massif et systématique
». D’autres organisations de défense des droits de l’homme
soutiennent que Total et UNOCAL ont bénéficié du travail forcé des
villageois raflés dans leurs villages par l’armée. Est-ce à dire que
le consortium a directement utilisé des esclaves ? Il semble tout au
moins établi que le portage des armes, la construction et l’entretien
des baraquements militaires ont été dévolus aux villageois. Or, à quoi
servait cette infrastructure ? Au consortium pétrolier. Mieux, John Imle,
qui n’est rien moins que le président UNOCAL, affirme que le partage
des tâches, pour être tacite, n’en était pas moins réel. Des
témoins affirment que des porteurs utilisés par l’armée étaient
payés par Total. Mieux, une mission parlementaire française est envoyée
sur place pour enquêter. Extraits de son rapport : « Il apparaît
factice de séparer la construction du Gazoduc, qui nécessitait
l’embauche d’une main-d’ouvre qualifiée et des moyens techniques
considérables, des mesures prises par le régime birman pour assurer sa
sécurité. Or, ce sont ces mesures de sécurité qui ont généré du
travail forcé et des déplacements de population dans la zone. [.] Total
et UNOCAL n’ont pas volontairement utilisé du travail forcé pour la
construction du gazoduc, mais en ont indirectement bénéficié, en raison
de la militarisation de la zone ». En conséquence, la mission
parlementaire recommande (en vain) que Total « fige » ses activités en
Birmanie. Quant à UNOCAL, elle fait l’objet d’un recours en justice
aux Etats-Unis. L’avocat des plaignants remarque que les villageois ont
été obligés de travailler et ont été payés par les étrangers. Cela
démontre que l’armée birmane était impliquée dans le projet de
gazoduc et qu’elle était présente dans les opérations de nettoyage
préalable à la construction des infrastructures nécessaires au chantier
(routes, héliports). Les exactions militaires dans une douzaine de
villages à l’occasion de ce chantier ont également été dénoncées
par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et par
plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) qui font état de
déplacements de populations manu militari et même d’exécutions
sommaires. Le scandale est tel que le gouvernement belge a alors décidé
de ne pas renouveler un contrat de six cents millions de francs français
avec la compagnie Total pour cause de « collusion » avec le régime de
Rangoon. Dans une déclaration au quotidien Le Monde en juillet 1996, Aung
San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991, place Total au premier rang des
soutiens dont bénéficie le régime de Rangoon Enfin, l’Union
Européenne, l’ONU et même les Etats-Unis, ont dû prendre des
résolutions à l’encontre de la junte. Plusieurs multinationales,
craignant d’être éclaboussées (ce qui nuit au bisness), quittent la
Birmanie en invoquant le « manque de démocratie ». Citons : Texaco,
Atlantic Richfield, Arco, Pepsi Cola, Levi’s, Interbrew, Carlsberg,
Heineken, Reebok, C & A, Hewlett Packard, Eastman Kodak. D’autres, comme
Unilever ont cité la Birmanie comme étant un pays où ils ne feraient
pas commerce. Il en va de même de Shell et Exxon. Total reste sur place.
Et que dit l’ONU ? Une déclaration de son Rapporteur spécial en avril
1999, reprend les mêmes accusations avec des éléments aggravants : «
La situation des droits de l’Homme à l’Est de la « Birmanie » est
extrêmement préoccupante. La stratégie d’affrontement poursuivie par
les militaires à l’encontre des minorités conduira inexorablement à
une véritable catastrophe humanitaire. Un demi million de personnes ont
été déplacées et plus de 100 000 personnes se sont réfugiées en
Thaïlande. »
Tous les faits rapportés plus haut sont connus et dénoncés depuis des
années dans le monde entier. Kouchner, lui, enquête en Birmanie en 2002
aux frais de Total et il nous rassure : aucun esclavagisme. « Je suis
sûr à 95 % que les gens de Total ne sont pas capables de faire ça ».
Des enfants esclaves ? Que nenni car « les tuyaux des pipe-lines sont
trop lourds pour être portés par des enfants » (sic). Mais voici que
Total reconnaît avoir dû protester contre les méthodes de l’armée
birmane, que lors d’un débat dans une FNAC à Paris, le pétrolier
confesse tardivement avoir indemnisé 400 birmans, forcés au travail par
l’armée sur le gazoduc. Voici qu’un témoin affirme avoir vu
l’armée obliger des villageois à déminer le terrain avec leurs pieds
et sauter sur des mines. [1] Kouchner ne sait rien de tout cela.
Impitoyable pourfendeur de Cuba où jamais l’armée ne s’est tournée
contre son peuple, ni ne pratique la torture, le viol, le racket, où les
paysans ne sont pas utilisés comme chair à mines, où les enfants sont
à l’école et pas sur des chantiers, où les richesses ne sont pas
confisquées par une minorité ou bradée à une autre puissance, où les
opposants ne sont pas assassinés aux coins des rues, où l’espérance
de vie est la plus longue de tous les pays pauvres, Kouchner, tout seul
contre le reste du monde, absout Total au pays des tyrans sanguinaires.
Voici que la Fédération Internationale des Droits de l’Homme regrette
son comportement dans cette affaire au moment où le groupe (un des plus
riches du monde) « doit enfin rendre des comptes à la justice ». Peu
lui chaut ! L’homme brigue l’Elysée et il n’est pas impossible, si
ses compromissions honteuses ne sont pas dénoncées partout, qu’il
devienne un jour, pour notre plus grande honte, notre président (au terme
d’une campagne électorale dont on se demande bien qui la financera).

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